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Yazid Sabeg: « Il faut un Grenelle de l’égalité réelle et de la diversité »



Nommé par le président de la République, fin décembre dernier, au poste de commissaire à la Diversité et à l’Égalité des chances, Yazid Sabeg nous a reçus en toute simplicité dans ses nouveaux bureaux de la rue de Lille, pour nous parler de son parcours et de son fameux rapport, sous les feux de l’actualité depuis plusieurs semaines.


©D.R.
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Vous êtes commissaire à la Diversité et à l’Égalité des chances. Concrètement quelles sont vos missions ?

Yazid Sabeg : Ma lettre de mission a été rendue publique, ma mission est donc très claire : mettre en oeuvre les mesures annoncées par le président de la République dans son discours du 17 décembre dernier à l’École polytechnique. Nicolas Sarkozy souhaite mobiliser tous les moyens de l’État pour faire avancer l’égalité réelle et la diversité au coeur de nos politiques publiques, notamment dans l’éducation et la formation. Ma mission se déroulera en plusieurs étapes. La première phase est en route, puisque je dois remettre ces jours prochains [le 7 mai, ndlr] un rapport détaillant les mesures retenues. Ensuite, ce sera la mise en oeuvre de ce programme. 

On a vu les limites des précédents plans Banlieue. En quoi votre « programme d’actions global » seraitil plus performant ?

Y. S. : Les violences de novembre 2005 nous ont rappelé l’urgence de réconcilier les territoires, les générations et les citoyens. Je n’ai pas la volonté de proposer un énième plan ponctuel, nous travaillons sur le long terme. Ce programme d’actions s’appuiera bien évidemment sur les opérations déjà en cours comme le PNRU (plan national de rénovation urbaine) et le plan Espoir banlieues, porté par Fadela Amara. Mais il faut être bien  conscient que tout ne sera pas résolu en quelques mois, il faudra du temps, et beaucoup de détermination.

Une de vos mesures est de proposer 7 500 places en internat, sur cinq ans, pour les jeunes des quartiers. Est-ce vraiment une solution ?

Y. S. : Les gens semblent l’ignorer, mais il y a très peu de lycées dans les zones d’éducation prioritaire. Et quand il y en a, ce sont des lycées d’enseignement professionnel (LEP). Un jeune qui fait le choix de faire des études générales doit souvent affronter quotidiennement de longs trajets vers une autre ville, c’est déjà, en soi, un défi. En étant hébergé sur place, il peut se consacrer davantage et plus sereinement à ses études.

Vous luttez contre les discriminations depuis trente ans, n’êtes-vous pas tenté de baisser les bras par moments ?

Y. S. : C’est une opération de longue haleine, les choses se transforment tout doucement. J’espère quand même être encore là pour le voir [rires].

Y a-t-il eu un événement déclencheur à ce combat ?

Y. S. : Je dirais que j’ai eu une prise de conscience dans les années 1980. Le déclic a été les arrivées de migrants pour les lancements des grands chantiers navals vers 1966-1967. Ces 80 000 hommes bénéficiaient alors d’un nouveau droit : le regroupement familial. J’ai compris tout de suite l’impact de cette  arrivée. Je me souviens d’avoir fait un rapport à la DATAR (Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale), dans lequel j’expliquais qu’ils venaient s’installer, qu’il fallait trouver des solutions durables et dignes pour les loger… Imaginez-vous une ville qui comptait 20 000 habitants et qui accueille d’un coup 40  000 migrants : cela n’allait pas sans poser de problèmes ! Mais on a laissé les gens se débrouiller, car le débat public se passait plutôt autour de la réforme du Code de la nationalité…

Un mot sur votre engagement au sein de l’Institut Montaigne ?

Y. S. : L’Institut Montaigne a été fondé par Claude Bébéar [fondateur du groupe d’assurance Axa et actuellement président d’IMS-Entreprendre pour la cité, ndlr]. Il regroupe des grands patrons et des intellectuels. Dans mon rapport sur Les Oubliés de l’égalité des chances (2006), je pointe les inégalités pour mieux les corriger et convaincre la France que son modèle républicain est dépassé. J’ai proposé comme solution la « discrimination positive ». C’est-à-dire prendre à ceux qui ont le plus pour donner à ceux qui ont le moins. Je proposais également l’instauration du CV anonyme, l’objectif était évidemment d’empêcher qu’une  demande d’emploi ne finisse à la poubelle pour le seul motif que son auteur se prénomme Mohammed ou Fatima.

Comment expliquez-vous que le Manifeste pour l’égalité réelle, que vous avez initié en novembre dernier, ait été reçu favorablement par les politiques de tous bords, dépassant ainsi les habituels clivages droite et gauche ?

Y. S. : Je pense que c’est le contraste cruel entre la situation américaine et la situation française. En France, nous sommes encore dans le débat autour des  mots. Il faut dépasser ce stade, être dans l’action. Les signataires de ce manifeste, qu’ils soient de droite ou de gauche, ont conscience de notre retard.

C’est l’effet Obama ?

Y. S. : Son élection est une vraie opportunité ! Barack Obama a une démarche inclusive, il place la diversité au coeur de la démocratie. Son père est africain, sa mère blanche, il a vécu en Indonésie, il est chrétien mais son identité est aussi un peu musulmane ! Alors, oui, son parcours, son élection ont envoyé un signal fort aux minorités de France. Dans nos territoires oubliés, il est devenu un espoir de changement.

Vous avez brisé le fameux « plafond de verre », quels conseils donneriez-vous aux jeunes ?

Y. S. : Lorsque j’ai commencé à travailler, il y a trente-cinq ans, la situation économique de notre pays était beaucoup plus favorable. Depuis, le contexte s’est considérablement durci, et a touché en priorité les populations les plus fragiles. Mais avec du travail, de la persévérance, tout est possible.

Cela vous émeut, vous agace, vous rend fier, que l’on vous cite comme un exemple de réussite ?

Y. S. : Je ne veux pas être un porte-drapeau. Mon objectif est de faire avancer mes idées. Tout ce qui m’importe est que mon pays ne sombre pas dans l’affrontement ethnique.

Dans la presse, vous auriez déclaré : « Les seuls ministères qui m’intéressent sont Bercy et le Quai d’Orsay, mais on ne me le propose jamais. » Info ou intox ?

Y. S. : Acceptez-en l’augure ! Ou plutôt : insha Allah !

En 2003, vous lancez la Convention laïque pour l’égalité des droits et la participation des musulmans de France, quel en est le but ?

Y. S. : C’est un think tank [un groupe de réflexion, ndlr] qui fonctionne toujours et dont le principal objet est de refuser la stigmatisation de l’islam. Cela peut prendre plusieurs formes : des conférences, des rencontres avec des associations, des actions de sensibilisation auprès des pouvoirs publics.

Vous aimez à vous définir « fondamentalement français et profondément maghrébin ». Cette double identité est-elle importante pour vous ?

Y. S. : C’est une dualité que j’ai toujours assumée, et même revendiquée ! J’irais même plus moins, je dirais que je suis français, araboberbère et musulman, avec une sensibilité chrétienne. Dans mon éducation, j’ai connu les cours de catéchisme, tout en étant élevé dans les valeurs de l’islam.

Bio Express

Né à Guelma, en Algérie, Yazid Sabeg, 58 ans, est l’aîné d’une famille algérienne de treize enfants. Il grandit à Lille, mais poursuit ses études universitaires à l’université Paris-I et obtient un doctorat en sciences économiques (il fut l’élève de Raymond Barre).
Depuis 1990, il dirige la SSII CS Communication et systèmes, une société spécialisée dans les services informatiques pour le milieu de la défense. Ce chef d’entreprise, très investi sur le terrain, s’est  notamment fait remarquer par deux ouvrages : La Discrimination positive. Pourquoi la France ne peut y échapper ? Et La Diversité dans l’entreprise, comment la réaliser ?
En novembre dernier, il signe un Manifeste pour l’égalité réelle, afin de « systématiser les politiques volontaristes de réussite éducative et la  promotion des talents dans les quartiers populaires ». Marié à une Franco-Danoise, il est proche de différentes personnalités politiques et financières,  notamment Jean-Louis Borloo, Simone Veil, Claude Bébéar et Philippe Douste-Blazy.
Il préside aussi le comité de suivi de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine et est le président-fondateur de la Convention laïque pour l’égalité des droits et la participation des musulmans de France. Il est également chevalier de la Légion d’honneur et de l’Ordre national du mérite.
 

Interview exclusive de Nadia Hatroubi-Safsaf le Lundi 4 Mai 2009

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Edito

La double onde de choc

Mohammed Colin - 23/10/2023
Au moment où nous mettons sous presse ce numéro dont le dossier, décidé il y a plusieurs semaines, porte sur le dialogue interreligieux à l’occasion des 50 ans du Service national pour les relations avec les musulmans (SNRM) de l’Eglise catholique, nous avons été heurtés au plus profond de nous-mêmes par la barbarie qui s’est abattue sur des civils israéliens et celle qui est ensuite tombée sur les civils palestiniens. Et il y a cette angoisse que le pire n’est toujours pas encore arrivé. Quand le sang d’enfants coule, à défaut de pouvoir sauver ces vies, nous nous devons de condamner ces actes abjects par tout ce qu’il y a en nous d’humanité. Ce nouvel épisode tragique nous rappelle tristement que le conflit dure depuis plus de 75 ans. La solution est résolument politique et le statu-quo mortifère auquel la communauté internationale s’est accommodée est intenable. Toutes les énergies doivent s’orienter vers la mise en oeuvre d’une paix juste et durable dans la région. Ébranlé par l’onde de choc de la tragédie du Moyen-Orient, comme si cela n’était pas suffisant, voilà qu’une nouvelle fois encore, le terrorisme sévit au sein de notre école, enceinte républicaine symbolisant l’avenir de notre nation. Hier Samuel Paty, aujourd’hui Dominique Bernard. Il est toujours insupportable de voir, au nom de la deuxième religion de France, qu’on assassine nos concitoyens, tue nos enseignants. Pire encore, de voir l’effet toxique à long terme sur notre tissu social si nous ne faisons pas preuve de résilience. En effet, il faut accepter qu’en démocratie, le risque zéro à propos d’attentats ne puisse exister sans remettre en cause l’État de droit. De même, il est illusoire de vouloir supprimer les divisions internes de notre société, de taire ses conflictualités aussi exacerbées soient-elles, car c’est le principe même de la démocratie. Pour être résiliant, nous devons apprendre à les assumer.