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Yamina Benguigui: « J’incarne un combat »



Née en France, d’origine algérienne, Yamina Benguigui travaille depuis vingt ans à la réalisation et à la production de films consacrés à la mémoire et à la question de l’immigration, et plus particulièrement celle qui vient du Maghreb. Productrice, écrivain, membre du Haut Conseil à l’intégration, et maire adjointe de Paris en charge des droits de l’homme et de la lutte contre les discriminations, la réalisatrice Yamina Benguigui cumule les casquettes. Entretien.


© D.R.
© D.R.

Quel a été le déclic qui vous a poussée à devenir réalisatrice et productrice ?

Yamina Benguigui : Il n’y a pas eu un déclic, mais deux ! Adolescente, j’ai été marquée par le film America, America, d’Elia Kazan, qui s’interroge sur la place des immigrés. Je me suis dit : « C’est formidable ! Un héros peut être issu de l’immigration ! » L’autre déclencheur fut lorsque le réalisateur algérien Mohammed Lakhdar-Hamina reçut la Palme d’or au festival de Cannes pour Chroniques des années de braise en 1975. Je me suis dit : « C’est enfin possible qu’un Arabe puisse recevoir la récompense suprême ! » Depuis, c’est devenu un ami.

Les débuts ont-ils été difficiles ?

Y. B. : J’ai dû me battre pour imposer mes choix, ce qui a conduit à une rupture avecma famille... Mais après, tout est rentré dans l’ordre, on s’est réconciliés... C’est le cas de beaucoup de filles issues de l’immigration. Cette solitude forcée à un moment donné de ma vie m’a donné une envie de réussir.

Je voulais dire vos débuts derrière la caméra…

Y. B. : C’est vrai que, pour une femme, c’était plus difficile de s’imposer dans ce milieu, blanc et masculin. Par passion, par acharnement, j’ai creusé mon sillon. J’ai commencé par être assistante de réalisation, notamment auprès de Jean-Daniel Pollet, avant de fonder, avec Rachid Bouchareb, une société de production.

Pourquoi, depuis plus de vingt ans, avoir pris pour sujet l’immigration ?

Y. B. : D’abord, parce que je suis une femme issue de l’immigration. Mes parents sont arrivés à la fin des années 1950 avec, comme de nombreux autres parents, l’idée de repartir. Ce mythe du retour a été destructeur pour les enfants nés ici, qui se sont retrouvés sans repères. Ensuite, je suis une cinéaste engagée. À ce titre, j’essaie de rendre visibles des choses qu’on ne veut pas voir. Je défriche, j’interroge sur des sujets nouveaux. C’est passionnant et, en même temps, terrifiant.

Pourquoi, selon vous, la France a-t-elle tant de mal à intégrer ses immigrés et leurs enfants ?

Y. B. : La société française a longtemps considéré les immigrés comme une population en transit. C’était censé être une immigration de travail. Pour preuve, on les a parqués dans des grands ensembles, des sortes de ghettos. Mais ces familles sont restées, ont eu des enfants français. C’est normal qu’aujourd’hui ces derniers réclament leurs droits. 

Certains jeunes issus de l’immigration vous voient comme une porte-parole. Vous acceptez ce titre ?

Y. B. : Je l’accepte volontiers. Je sais que j’incarne un combat. Les gens me le disent souvent et c’est cela, ma récompense. Je mets au centre du débat des questions qui les concernent en premier lieu : la discrimination à l’embauche, les carrés musulmans, la mémoire de leurs parents. L’image est un vecteur extraordinaire pour faire évoluer les mentalités dans une société.

Pensez-vous que votre documentaire 9-3 Mémoire d’un territoire changera le regard sur ce département ?

Y. B. : Ce film est un outil. J’irai le montrer partout, comme je l’ai fait avec Mémoires d’immigrés ou Le Plafond de verre. Je vais aussi demander à être reçue par le président Nicolas Sarkozy. Si, aujourd’hui, le 93 est sinistré, c’est à cause du baron Haussmann qui a déplacé les usines polluantes au nord de Paris. Il en a fait la poubelle des Parisiens. Il est juste que maintenant l’État répare ! La Seine-Saint-Denis peut renaître, il suffit d’un petit coup de pouce. Le foncier n’y est pas  cher et de plus en plus d’entreprises s’y installent. En réalisant 9-3 Mémoire d’un territoire, je n’ai pas cherché à faire du sensationnel, c’était un moyen détourné de parler des émeutes de 2005 et de rendre hommage à Zied et Bouna.

Pourquoi avoir évoqué la question des carrés musulmans dans votre nouveau long métrage Le Paradis, c’est complet ?

Y. B. : Il n’existe en France que soixante carrés pour enterrer les musulmans. C’est donc un vrai casse-tête pour les Maghrébins de France : ils ont vécu ici, mais pourquoi ne peuvent-ils pas être enterrés ici selon leurs croyances ? Dans ce long métrage, Isabelle Adjani y incarne le rôle d’une femme pressentie pour devenir   Premier ministre, mais qui est restée très discrète sur ses origines maghrébines. Alors, quand son père algérien meurt, elle a vingt-quatre heures pour l’enterrer selon les préceptes de l’islam ; mais elle s’aperçoit que c’est impossible, les carrés musulmans en France étant complets. Elle est au bord de la panique et n’a qu’une seule peur : que les médias s’emparent de cette affaire privée.

Fondée en 2006, votre société de production, Elemiah, tente de « favoriser la représentation des minorités à la télévision et au cinéma ». Concrètement, que cela donne-t-il ?

Y. B. : Il s’agit de favoriser le recrutement des personnes issues de l’immigration et de faire émerger les Spike Lee ou les Will Smith français. Des talents qui ne demandent qu’à éclore mais qui manquent de réseaux. L’autre idée directrice est de produire des fictions qui soient plus aux couleurs de notre société. C’est le cas, par exemple, avec Aïcha, un téléfilm [diffusé sur France 2] sur le quotidien d’une jeune femme maghrébine, qui rêve d’indépendance. Nous avons fait appel à Sofia Essaïdi pour le premier rôle. 

Justement, pourquoi avez-vous choisi Sofia Essaïdi, ex-star académicienne et « beurgeoise », pour interpréter cette héroïne qui est une jeune femme issue des quartiers ?

Y. B. : Sofia le dit elle-même : « J’ai tout à apprendre. » Son interprétation repose sur l’instinct. Elle n’est pas formatée. Elle a cette intelligence intuitive pour interpréter Aïcha, une jeune fille d’origine algérienne qui ne supporte plus l’ambiance pesante de son quartier et le poids du « qu’en dira-t-on ». Son rêve : conquérir Paris, de l’autre côté du périphérique, et par là son indépendance...

N’est-ce pas un peu caricatural d’évoquer encore le poids des traditions dont seraient victimes les femmes issues de l’immigration ?

Y. B. : Vous ne pouvez pas me dire cela à moi, je me bats depuis quinze ans contre toutes formes de préjugés. J’ai voulu montrer une réalité et un désir. De nombreuses femmes aspirent à mener leur vie comme elles l’entendent.

Pourquoi avoir accepté d’être maire adjointe de Paris en charge des droits de l’homme et de la lutte contre les discriminations ?

Y. B. : La politique, j’en fais depuis quinze ans ! C’est une manière de formaliser toutes ces années de travail sur le terrain. Je continuerai donc à travers ce mandat à défricher les sujets, à réveiller les consciences. C’est ça, pour moi, être une cinéaste engagée, témoin de son temps.

Quel est votre rapport à l’islam ?

Y. B. : C’est un sujet qui me passionne, j’ai d’ailleurs réalisé la série Femmes d’islam, pour France 2, où je m’interrogeais sur la place de la femme musulmane. Mais je ne cautionne pas l’enfermement, le rejet de l’autre… des dérives  qui frappent l’islam aujourd’hui.

Bio Express

Yamina Benguigui réalise, en 1994, la série Femmes d’islam, une trilogie sur les femmes musulmanes de plusieurs pays du monde, puis, en 1995, La Maison de Kate, un lieu d’espoir, sur un centre de traitement de la toxicomanie.
C’est en 1997, avec Mémoires d’immigrés, l’héritage maghrébin, qu’elle obtient son premier succès.
En septembre 2008, elle réalise pour Canal + 9-3 Mémoire d’un territoire ; ce documentaire, salué par la presse, soulève  cependant la critique de plusieurs historiens.
Avant de devenir adjointe au maire de Paris, chargée des droits de l’homme et de la lutte contre les discriminations, Yamina Benguigui a reçu en 2003 le Prix de la paix pour l’ensemble de son travail et est nommée chevalier de la Légion d’honneur des arts et des lettres et de l’Ordre national du mérite.

 

Interview exclusive de Nadia Hatroubi-Safsaf le Mercredi 1 Avril 2009

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Edito

La double onde de choc

Mohammed Colin - 23/10/2023
Au moment où nous mettons sous presse ce numéro dont le dossier, décidé il y a plusieurs semaines, porte sur le dialogue interreligieux à l’occasion des 50 ans du Service national pour les relations avec les musulmans (SNRM) de l’Eglise catholique, nous avons été heurtés au plus profond de nous-mêmes par la barbarie qui s’est abattue sur des civils israéliens et celle qui est ensuite tombée sur les civils palestiniens. Et il y a cette angoisse que le pire n’est toujours pas encore arrivé. Quand le sang d’enfants coule, à défaut de pouvoir sauver ces vies, nous nous devons de condamner ces actes abjects par tout ce qu’il y a en nous d’humanité. Ce nouvel épisode tragique nous rappelle tristement que le conflit dure depuis plus de 75 ans. La solution est résolument politique et le statu-quo mortifère auquel la communauté internationale s’est accommodée est intenable. Toutes les énergies doivent s’orienter vers la mise en oeuvre d’une paix juste et durable dans la région. Ébranlé par l’onde de choc de la tragédie du Moyen-Orient, comme si cela n’était pas suffisant, voilà qu’une nouvelle fois encore, le terrorisme sévit au sein de notre école, enceinte républicaine symbolisant l’avenir de notre nation. Hier Samuel Paty, aujourd’hui Dominique Bernard. Il est toujours insupportable de voir, au nom de la deuxième religion de France, qu’on assassine nos concitoyens, tue nos enseignants. Pire encore, de voir l’effet toxique à long terme sur notre tissu social si nous ne faisons pas preuve de résilience. En effet, il faut accepter qu’en démocratie, le risque zéro à propos d’attentats ne puisse exister sans remettre en cause l’État de droit. De même, il est illusoire de vouloir supprimer les divisions internes de notre société, de taire ses conflictualités aussi exacerbées soient-elles, car c’est le principe même de la démocratie. Pour être résiliant, nous devons apprendre à les assumer.