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Paris 15e : La mosquée des diplomates



Nichée au cœur du 15e arrondissement de Paris, la salle Masjid ar-Rahma accueille des fidèles du monde entier. Habitants du quartier ou hauts fonctionnaires consulaires des Émirats, tous se pressent le vendredi. En attendant, l’ouverture d’une mosquée…


© Lahcène Abib
© Lahcène Abib
Au pied d’un immeuble Art déco en brique blanche de l’OPAC [office de HLM, ndlr], la salle de prière Masjid ar-Rahma est l’unique lieu de culte musulman du 15e arrondissement de Paris qui a pignon sur rue. L’entrée principale, celle des hommes, donne sur l’étroite rue de Javel. Une fois le hall passé, on accède à la salle de prière par un escalier. Ici tout se passe au sous-sol. En bas des marches, « la salle d’eau, à droite, est ultra high-tech », s’exclame Tayeb Benali, vice-président de l’Association socioculturelle des jeunes du 15e et de leurs parents. Robinetterie infrarouge pour éviter tout gaspillage, carrelage dernier cri. 

À gauche, éclairée par une grande verrière, la salle principale baigne dans la lumière du jour. « Cette baie vitrée a été financée par différents donateurs », confie Tayeb. Au sol, la moquette est directement importée de Belgique. Particularité du revêtement ? « La moquette reproduit des tapis de prière individuels offrant plus de confort aux fidèles. »
 
Les femmes, quant à elles, empruntent un escalier à l’abri des regards, derrière une balustrade métallique noire. Au bout des marches, une minuscule salle aménagée, avec moquette beige et tableaux coraniques au mur. Un rideau de tissu bleu coupe une partie de la pièce, permettant aux hommes de rejoindre la salle principale, mitoyenne. 

En ce vendredi, une certaine effervescence règne dans la rue. Une atmosphère qui tranche avec les façades froides des immeubles alentour. Musulmans du quartier ou personnels diplomatiques, les fidèles du vendredi viennent de tous les horizons. Qataries, Saoudiens ou Comoriens, tous ont leurs habitudes à Ar-Rahma, souvent appelée la « mosquée des ambassades ». Déposés en véhicules privés ou en minicar, « comme les employés de l’Unesco »… 


Diplomates et habitants, une mixité inattendue
 
Un mélange social qui passe, désormais, inaperçu auprès des fidèles du quartier. « Ils sont habitués à l’arrivée de ces personnalités en voiture de luxe avec chauffeur », lance Tayeb. La salle est inaugurée en 2003, grâce à la pugnacité de Mohamed Benali, président de l’association. « Je me suis appuyé sur les élus, notamment Anne Hidalgo, pour plaider en faveur des musulmans du 15e », relate le vieil homme aux accents franco-marocains. « Je suis allé voir l’OPAC. » Le bailleur, d’abord hésitant, cédera contre 6 000 euros de loyer par trimestre, soit 24 000 euros à l’année.

Une somme à laquelle s’ajoutent les travaux d’aménagement. « Jeunes et anciens du quartier, tous ont mis la main à la pâte », se rappelle Tayeb. Pendant trois mois, entre 60 et 80 personnes se sont relayées pour réaménager les espaces intérieurs en salle de prière… « Avec une nécessité : optimiser l’espace pour gagner le moindre centimètre », fait observer Tayeb. Il avait vu juste : la salle est aujourd’hui largement saturée lors de la grande prière hebdomadaire.


Une mosquée victime de son succès
 
Car une fois le prêche entamé, c’est un flot ininterrompu de fidèles qui s’empressent de se frayer un chemin dans la salle de prière. Pas évident. La salle n’accueille pas plus de 350 fidèles. Entre les habitants du 15e, ceux des arrondissements voisins et le personnel consulaire, le seuil est rapidement  atteint.

Une situation, source de tensions. Le voisinage, plutôt hostile à l’ouverture d’une salle de culte musulman, est d’ailleurs aux aguets du moindre faux pas. « Lors de l’ouverture, certains habitants ont lancé des pétitions à plusieurs reprises pour faire fermer le lieu, indignés par les prières effectuées sur le trottoir », témoigne Tayeb Benali. Stratégique, Tayeb, aidé de deux bénévoles, assure l’accueil des fidèles et veille à ce que personne ne prie sur le trottoir… Une exigence de la mairie. « Le vendredi, la prière crée du trouble en termes de stationnement et de circulation, il y a du monde », constate Hubert Martinez, adjoint au maire chargé de la tranquillité publique à la mairie du 15e arrondissement. Et d’ajouter : « Nous avons donc demandé la présence de policiers afin de réguler la circulation, cela rassure les habitants. »

Dans ce souci de pédagogie, Mohamed Benali entretient d’ailleurs des relations étroites avec la communauté juive et chrétienne du quartier, s’appuyant sur le dialogue interreligieux. Entre le regard des voisins et celui des policiers, l’association veille à prévenir tout débordement et tous préjugés. D’autant que Benali père espère obtenir un espace plus grand. Objectif ? Doter le 15e arrondissement d’une véritable mosquée. En attendant, l’association s’attache à collectionner les bons points…


Repères
2003 : ouverture de la salle Masjid ar-Rahma
• Capacité d’accueil : 350 personnes
• Dimension de la salle des hommes : 600 m2
• Dimension de la salle des femmes : 90 m2
• Nombre total de salles : 4
• Horaires d’ouverture : 15 minutes avant l’heure de chaque prière
• Montant du loyer : 24 000 euros par an

© Lahcène Abib
© Lahcène Abib
Portrait

Mohamed Benali préside l’Association socioculturelle des jeunes du 15e et de leurs parents créée courant 2002. Né à Figuig, au Maroc, en 1944, il gagne la France au début des années 1960. Il occupera successivement des emplois dans le bâtiment, puis dans la sécurité. Homme de religion, il oriente son travail associatif en faveur de la communauté musulmane.À l’échelle de son quartier, dans la cité des Quatre-Frères-Peignot (Paris 15e), il milite auprès des élus pour doter l’arrondissement d’une salle de prière. Père de quatre enfants, dont Tayeb Benali très impliqué dans la gestion de la salle Ar-Rahma, il apparaît comme une figure fédératrice du quartier. L’homme mise aussi beaucoup sur l’interreligieux. Une fois par mois, il rencontre des membres des communautés juive et catholique.

Reportage de Nadia Moulaï le Jeudi 1 Juillet 2010


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Edito

La double onde de choc

Mohammed Colin - 23/10/2023
Au moment où nous mettons sous presse ce numéro dont le dossier, décidé il y a plusieurs semaines, porte sur le dialogue interreligieux à l’occasion des 50 ans du Service national pour les relations avec les musulmans (SNRM) de l’Eglise catholique, nous avons été heurtés au plus profond de nous-mêmes par la barbarie qui s’est abattue sur des civils israéliens et celle qui est ensuite tombée sur les civils palestiniens. Et il y a cette angoisse que le pire n’est toujours pas encore arrivé. Quand le sang d’enfants coule, à défaut de pouvoir sauver ces vies, nous nous devons de condamner ces actes abjects par tout ce qu’il y a en nous d’humanité. Ce nouvel épisode tragique nous rappelle tristement que le conflit dure depuis plus de 75 ans. La solution est résolument politique et le statu-quo mortifère auquel la communauté internationale s’est accommodée est intenable. Toutes les énergies doivent s’orienter vers la mise en oeuvre d’une paix juste et durable dans la région. Ébranlé par l’onde de choc de la tragédie du Moyen-Orient, comme si cela n’était pas suffisant, voilà qu’une nouvelle fois encore, le terrorisme sévit au sein de notre école, enceinte républicaine symbolisant l’avenir de notre nation. Hier Samuel Paty, aujourd’hui Dominique Bernard. Il est toujours insupportable de voir, au nom de la deuxième religion de France, qu’on assassine nos concitoyens, tue nos enseignants. Pire encore, de voir l’effet toxique à long terme sur notre tissu social si nous ne faisons pas preuve de résilience. En effet, il faut accepter qu’en démocratie, le risque zéro à propos d’attentats ne puisse exister sans remettre en cause l’État de droit. De même, il est illusoire de vouloir supprimer les divisions internes de notre société, de taire ses conflictualités aussi exacerbées soient-elles, car c’est le principe même de la démocratie. Pour être résiliant, nous devons apprendre à les assumer.