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Meziane Idjerouidène:« Rapprocher les cultures, c’est dans nos gènes »



Trentenaire à la voix douce mais à l’ambition forte, Meziane Idjerouidène est à la tête d’Aigle Azur, 3e compagnie aérienne française, transportant 1,7 million de passagers en 2009, sur 30 destinations. Il nous raconte la passion de sa vie qu’est le transport aérien.


© Lahcène Abib
© Lahcène Abib

Voilà dix ans que GoFast a racheté Aigle Azur…

Meziane Idjerouidène : L’entreprise a beaucoup changé. Lorsque nous l’avons achetée, on comptait une quarantaine de collaborateurs et un seul appareil, pour 9 millions d’euros de chiffre d’affaires. Maintenant, c’est près de 850 personnes, 13 avions de la famille Airbus, un réseau qui s’est extrêmement développé et 300 millions d’euros de chiffre d’affaires.

Directeur général d’Aigle Azur depuis sa reprise, vous êtes désormais vice-président du conseil de surveillance. Pourquoi ce changement ?

M. I. : Il convient de faire évoluer la gouvernance. On parle toujours de cycle de dix ans. Quand on est une entreprise en lancement, le fait que l’actionnaire soit en permanence dans le quotidien, en opérationnel, est une force, mais cela peut devenir – j’en suis même convaincu – le talon d’Achille quand on grandit. Il faut savoir apporter du sang neuf. On a  donc créé un conseil de surveillance, avec pour président mon père et vice-président moi-même, et un directoire présidé par François Hersen, qui avait créé Air Caraïbes Atlantique. 

Aigle Azur possède déjà une riche histoire.

M. I. : Créée en 1946 par Sylvain Floirat, Aigle Azur était tombée dans l’oubli. Même si elle était déficitaire, l’entreprise était saine, car elle était encore la propriété des petits-enfants du fondateur. Celui-ci, après la Seconde Guerre mondiale, s’était lancé dans le transport aérien en convertissant des avions militaires pour le transport public. Aigle Azur s’est développée sur le Maghreb, l’Afrique de l’Ouest, puis sur l’Indochine, le Liban et Madagascar. Décolonisation oblige, l’activité a chuté. Les petits-enfants ont laissé Aigle Azur dans le patrimoine familial, mais ce n’était pas leur dada. Dans le transport aérien, on prend des risques ou on n’en prend pas, c’est tout ou rien.

Et vous, vous l’avez ce goût du risque ?

M. I. : Moi, je suis complètement dedans ! La première action a été de vendre le seul appareil et d’acheter un Boeing 737-300 QC (Quick Change), qui permet de passer d’une version tout-passagers (le jour) en tout-cargo (la nuit). En même temps, redonner la visibilité à l’entreprise en s’adressant aux tour-opérateurs, en relançant les vols à destination de la Méditerranée. Deux ans après, à partir de 2003, trois événements concomitants : lancement des vols réguliers vers l’Algérie ; arrivée du premier Airbus qui augurait le passage au tout-Airbus ; départ à partir d’Orly en vols réguliers. L’étape suivante a été de diversifier notre réseau en destinations régulières : 2005, le Maroc et la Tunisie ; 2006, le Portugal ; 2007, le Mali. Aujourd’hui, les vols réguliers constituent 90 % de notre activité et les vols ponctuels (pour des comités d’entreprise, des événements sportifs ou culturels) font les 10 % restants. 

Accroître le capital confiance et sympathie est important pour vous ?

M. I. : Nous ne sommes pas une compagnie low cost : notre modèle économique est d’être une compagnie aérienne dite traditionnelle, où la relation clients est fondamentale. Alors que les comptoirs se font de moins en moins, notre investissement en ressources humaines est conséquent dans les aéroports (près de 300 personnes), aussi bien en exploitation qu’au comptoir.

Une proximité que vous entretenez jusque dans vos messages de bienvenue à bord.

M. I. : Ce sont les langues des pays qui sont dites dans les annonces de bienvenue, au départ et à l’arrivée, et les consignes de sécurité. D’abord le français, l’anglais, puis une troisième langue, voire une quatrième. En portugais, sur le Portugal ; en arabe et en berbère, sur le Maghreb. C’est la première fois dans le transport aérien qu’il y a du berbère dans un avion ! On vient même de décliner les consignes de sécurité papier avec les alphabets d’origine de ces langues-là. Sur le Mali, le bambara mais aussi le soninké. Le simple fait d’entendre leur langue d’origine provoque chez les passagers des pleurs, des youyous !

La diversité en entreprise, une réalité au sein d’Aigle Azur ?

M. I. : Dans une compagnie aérienne, le gros des effectifs, c’est les hôtesses et stewards. La population est forcément polyglotte, multiculturelle. Nous sommes une entreprise 100 % familiale : je suis enfant d’immigré, mon père est d’origine algérienne, immigré en France, ma mère est enfant d’immigré italien. La diversité fait partie de nous. Plus de 52 origines différentes ont été recensées chez Aigle Azur. On n’a pas besoin d’être pro-actif en matière de diversité, c’est dans les gènes. 

Quelles sont vos nouvelles aventures pour Aigle Azur ?

M. I. : Le Sénégal et la Côte d’Ivoire sont des destinations à venir. Et on ouvrira Bagdad à la rentrée de septembre 2010, à raison de deux vols hebdomadaires. Depuis 1990, la France ne relie pas directement l’Irak. Nous nous adressons à une clientèle corporate, que nous connaissons bien, puisque GoFast dessert Hassi Messaoud, coeur pétrolier en Algérie, depuis 1995. Aigle Azur est une compagnie de niche, qui va dans les régions peu ou pas suffisamment desservies. Cela a toujours été notre positionnement.

Vous êtes aussi la compagnie qui affiche clairement une offre spéciale Ramadan.

M. I. : La période du Ramadan, c’est un esprit de partage. Rapprocher les cultures, c’est notre signature. Il est facile d’avoir les mots, mais il faut des actes, et le concret dans notre métier, ce sont les tarifs. C’est pour cela que depuis 2003 l’offre Ramadan est proposée sur la destination Maghreb et maintenant Mali.

Avez-vous des conseils à donner à des entrepreneurs ?

M. I. : Je n’ai pas la prétention de donner des conseils à qui que ce soit. Mon parcours est lié à l’histoire de mon père, celle de ma famille. Chaque histoire est unique. Ce qui est certain, c’est qu’il ne faut rien lâcher et aimer ce que l’on fait. 

Vos valeurs ?

M. I. : Le respect du travail et des personnes, quelle que soit leur génération, d’où qu’elles viennent, que ce soit nos clients ou non. C’est cette mixité culturelle qui fait partie de moi que je trouve fantastique et qui me permet de concrètement exercer au quotidien avec Aigle Azur. C’est fantastique d’être dans un secteur qui est à la croisée de l’industrie, de la diplomatie, de la technologie, des services et du culturel. Je suis en plein dans ce que j’aime, donc tout va très bien !

Bio Express

Né le 13 juin 1980, à Paris 11e, Meziane Idjerouidène grandit dans le monde du transport dès son plus jeune âge. « La seule façon d’être avec mon père, c’était d’être avec lui à son travail. » 
Dès 12 ans, Meziane consacre tout son temps a-scolaire au côté de son père Arezki Idjerouidène, fondateur de GoFast, aujourd’hui maison mère spécialisée dans le fret. « J’y ai pris goût : ma pratique a suivi la diversification de GoFast jusqu’au transport aérien passagers. » 
Bac S en poche, il obtient une maîtrise d’économie internationale, un DEA de relations internationales et un master en management du transport aérien de l’École nationale de l’aviation civile.
La chaîne des métiers d’une compagnie aérienne, il connaît. Ses nuits et ses vacances estudiantines sont celles d’un travailleur forcené. « J’ai fait tous les métiers : agent d’accueil, bagagiste, load master, embarquement, réservation… » « Une expérience fantastique, qui m’a permis de comprendre tous les fondamentaux. »
 Quand on lui demande s’il est marié, Meziane répond : « À Airbus ! » Un passionné.


Propos recueillis par Huê Trinh Nguyên le Lundi 2 Août 2010

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La double onde de choc

Mohammed Colin - 23/10/2023
Au moment où nous mettons sous presse ce numéro dont le dossier, décidé il y a plusieurs semaines, porte sur le dialogue interreligieux à l’occasion des 50 ans du Service national pour les relations avec les musulmans (SNRM) de l’Eglise catholique, nous avons été heurtés au plus profond de nous-mêmes par la barbarie qui s’est abattue sur des civils israéliens et celle qui est ensuite tombée sur les civils palestiniens. Et il y a cette angoisse que le pire n’est toujours pas encore arrivé. Quand le sang d’enfants coule, à défaut de pouvoir sauver ces vies, nous nous devons de condamner ces actes abjects par tout ce qu’il y a en nous d’humanité. Ce nouvel épisode tragique nous rappelle tristement que le conflit dure depuis plus de 75 ans. La solution est résolument politique et le statu-quo mortifère auquel la communauté internationale s’est accommodée est intenable. Toutes les énergies doivent s’orienter vers la mise en oeuvre d’une paix juste et durable dans la région. Ébranlé par l’onde de choc de la tragédie du Moyen-Orient, comme si cela n’était pas suffisant, voilà qu’une nouvelle fois encore, le terrorisme sévit au sein de notre école, enceinte républicaine symbolisant l’avenir de notre nation. Hier Samuel Paty, aujourd’hui Dominique Bernard. Il est toujours insupportable de voir, au nom de la deuxième religion de France, qu’on assassine nos concitoyens, tue nos enseignants. Pire encore, de voir l’effet toxique à long terme sur notre tissu social si nous ne faisons pas preuve de résilience. En effet, il faut accepter qu’en démocratie, le risque zéro à propos d’attentats ne puisse exister sans remettre en cause l’État de droit. De même, il est illusoire de vouloir supprimer les divisions internes de notre société, de taire ses conflictualités aussi exacerbées soient-elles, car c’est le principe même de la démocratie. Pour être résiliant, nous devons apprendre à les assumer.