
Parlez-nous de vos débuts d’humoriste à Strange FM ?
Yassine Belattar : J’avais 10 ans, on piratait les ondes de Skyrock et de Fun Radio de façon à ce qu’ils ne puissent pas émettre là où on habite. À l’antenne, on se foutait de la gueule de Doc et Difool. C’était déjà une forme de rébellion contre le système. Je trouvais que ces libres antennes qui parlaient de sexe étaient inadmissibles. Il a fallu arrêter en 1995 : nos émetteurs ont été confisqués à cause du plan Vigipirate.
Comment êtes-vous arrivé au stand-up ?
En 2003, après le choc du Front national (le FN arrive au second tour de l’élection présidentielle de 2002, ndlr), il se passe quelque chose dans le monde de la culture. Je rencontre Thomas N’Gijol qui est un des plus doués de sa génération. Je vais le voir sur scène et lui m’écoute à la radio Générations. Il m’encourage à faire de la scène. Ensuite, je vais voir le Comte de Bouderbala, qui commence à faire parler de lui, on décide de s’associer tous les trois. Puis vont nous rejoindre Amelle Chahbi, Frédéric Chau, Patson, Yacine Belhuze et Fabrice Éboué. On a créé la troupe Barre de rire. À l’époque, il existait des mégastars comme Jamel Debbouze ou Éric et Ramzy, mais ce n’était pas des mecs à textes qui voulaient changer la société française.
Passé dans beaucoup de médias différents, vous vous êtes fait virer plusieurs fois : êtes-vous ingérable ?
Mon instabilité à l’époque n’était pas liée au fait que je sois ingérable. Mais, avec mon équipe, on a toujours été engagés. Et cet engagement, il faut le confronter à des gens qui l’acceptent. Quand nous ne sommes pas libres, nous nous en allons. Avec tous les médias avec lesquels j’ai travaillé, cela se complique au moment où on me demande des choses que je ne sais pas faire. Si j’avais fait des émissions telles que celles de Cyril Hanouna, je n’aurais pas de difficulté à trouver du travail. Mais je n’ai pas envie de le faire.
Qu’est-ce qui vous différencie
Cela peut paraitre alarmiste, mais il se passe tellement de choses graves que je ne peux pas arriver sur un plateau télévisé chaque soir et faire croire que tout va bien. Je trouverais cela injustifiable. Mon humour s’allie très bien à la gravité du moment. À Générations, on est fiers de ce qu’on a fait : nous avons donné la parole à des associations, créé des appels à s’inscrire sur les listes électorales. Avec Thomas Barbazan, nous n’avons pas cédé à la facilité. Entre l’argent et la crédibilité, je choisirai toujours la crédibilité.
Quelles sont vos relations avec la gauche politique dont vous vous moquez dans votre spectacle ?
La gauche, c’est une utopie. Je lui en veux parce qu’elle m’a fait croire qu’elle était la solution alors qu’elle est une partie du problème. La gauche a une histoire compliquée avec la banlieue, qu’elle traite de façon très infantilisante. Cela fait 30 ans que la gauche ne veut pas que les gens de banlieue montent, ou du moins ils les choisissent.
Quel bilan tirez-vous de la tournée que vous avez faite dans les villes FN, après les municipales de 2014 ?
Les retours n’étaient pas toujours sympathiques. N’ayant pas accès aux salles muni cipales, je jouais dans des endroits de
fortune comme des restaurants. Il fallait que je confronte mon patriotisme à un autre type de patriotisme. C’est facile de critiquer le FN quand on est à Paris. Il faut, à un moment donné, qu’on ait un état d’esprit conquérant. À Hénin-Beau - mont et à Mantes-la-Ville, dans le public, certaines per sonnes étaient ouvertement des élec teurs du FN, dont des musulmans. Il faut savoir sortir de son confort pour être concret dans ses prises de position. Aujourd’hui, je pense être quelque peu crédible pour parler des villes FN.
fortune comme des restaurants. Il fallait que je confronte mon patriotisme à un autre type de patriotisme. C’est facile de critiquer le FN quand on est à Paris. Il faut, à un moment donné, qu’on ait un état d’esprit conquérant. À Hénin-Beau - mont et à Mantes-la-Ville, dans le public, certaines per sonnes étaient ouvertement des élec teurs du FN, dont des musulmans. Il faut savoir sortir de son confort pour être concret dans ses prises de position. Aujourd’hui, je pense être quelque peu crédible pour parler des villes FN.
Vous avez également joué à Molenbeek ?...
D’après certaines chaines de télévision française, je n’aurais dû croiser à Molenbeek que des jihadistes ! Je suis déçu [sourire] ! Molenbeek, c’est une indignation collective. On ne va pas laisser tomber 100 000 habitants sous prétexte que quelques-uns ont franchi le pas. On doit être constructif.Il faut donner à ces gens-là le seul pont qui est crédible entre eux et nous : la culture. J’étais très ému de voir dans la salle des femmes voilées, d’autres non voilées, ainsi que des « Blancs » qui m’ont dit après le spectacle qu’ils n’avaient jamais mis auparavant les pieds à Molenbeek. Ils habitent à Bruxelles mais ils ont attendu de venir me voir pour aller à Molenbeek. Notre rôle, c’est de faire bouger les lignes, c’est pour cela que je fais ce métier.
Vous êtes propriétaire du fameux Théâtre de Dix Heures. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Une forme de fierté, parce qu’il est tout à fait normal qu’à un moment dans ma carrière je m’investisse autrement que par le blabla. Je voulais prendre le contrepied de nos parents qui, malheureusement, n’ont pas acheté au moment où, pour certains, ils auraient pu le
faire. Cela me permet aussi de marquer de mon empreinte la culture française.
faire. Cela me permet aussi de marquer de mon empreinte la culture française.
À part votre spectacle, quelles initiatives avez-vous mises en oeuvre dans votre théâtre ?
Je suis artiste et je connais les difficultés qu’ont certains de louer des salles. Alors j’ai lancé en juillet le festival « Pas de pognon pas d’Avignon » pour ceux qui n’ont pas d’argent pour aller à Avignon. La culture est très excluante. J’ai créé aussi le label de Dix Heures, je
déménage mon théâtre pendant dix jours dans des villes qui n’ont pas accès à la culture. La première ville sera Clichysous- Bois, à partir d’octobre. Je n’accepte pas qu’on dise que cette ville est un repère d’émeutiers et qu’elle n’a pas d’artistes. Les deux meilleurs de Clichy-sous-Bois seront recrutés dans mon équipe d’auteurs et d’artistes et je produirais leurs spectacles. Mon théâtre est un outil politique.
déménage mon théâtre pendant dix jours dans des villes qui n’ont pas accès à la culture. La première ville sera Clichysous- Bois, à partir d’octobre. Je n’accepte pas qu’on dise que cette ville est un repère d’émeutiers et qu’elle n’a pas d’artistes. Les deux meilleurs de Clichy-sous-Bois seront recrutés dans mon équipe d’auteurs et d’artistes et je produirais leurs spectacles. Mon théâtre est un outil politique.
Quel est votre rapport à l’islam ?
Étant de culture musulmane, je considère que Dieu fait partie intégrante et permanente de ce que je suis. Je ne dissocie pas ma croyance de l’homme que je suis. Je sais une chose fondamentale, c’est que j’ai peur de Dieu. J’ai une limite, un cadre, que m’a apporté l’islam.
Seriez-vous prêt à lancer votre candidature à l’élection présidentielle comme d’autres humoristes dans le passé ?
La politique, c’est sérieux ! Je peux avoir des points de vue qui caricaturent le monde politique. En revanche, prétendre à de hautes fonctions, ce serait humilier la politique. L’humour a ses limites. Je suis un bouffon dans le sens noble du terme. Le bouffon était respecté parce qu’il pouvait se moquer du roi et le tutoyer. J’ai envie de tutoyer les hommes politiques et leur montrer qu’ils ont tort. J’ai
quelque chose qu’ils n’auront jamais : la liberté totale.
quelque chose qu’ils n’auront jamais : la liberté totale.
BIO EXPRESS
Né le 27 juin 1982 à Conflans-Sainte-Honorine, Yassine Belattar a passé sa jeunesse dans les Yvelines. Il a grandi à L’Étang-la-Ville avant de déménager aux Mureaux à 18 ans. Dès l’âge de 10 ans, il s’amuse en faisant des blagues depuis le fond de la salle de classe ou depuis le micro de la radio pirate Strange FM jusqu’en 1996. En 2003, il rejoint la radio francilienne Générations 88.2, spécialisée dans les musiques urbaines et qui se caractérise à l’époque par des débats citoyens. Yassine Belattar y tient des chroniques humoristiques, puis anime la matinale en compagnie de Thomas Barbazan, qui deviendra dès lors son acolyte de toujours. Le duo fonde le collectif Barre de rire en 2006, avec les futures stars du stand-up français telles que Thomas N’Gijol, Fabrice Éboué ou le Comte de Bouderbala. La même année, il est chroniqueur dans l’émission « En aparté », de Pascale Clark, sur Canal+. Après des passages au Mouv’, France 4, Beur FM et Comedie+, il anime aujourd’hui une chronique matinale avec Thomas Barbazan sur Nova. En novembre 2015, il devient copropriétaire du Théâtre de Dix Heures, à Paris, où il joue son one-man-show Ingérable.
Né le 27 juin 1982 à Conflans-Sainte-Honorine, Yassine Belattar a passé sa jeunesse dans les Yvelines. Il a grandi à L’Étang-la-Ville avant de déménager aux Mureaux à 18 ans. Dès l’âge de 10 ans, il s’amuse en faisant des blagues depuis le fond de la salle de classe ou depuis le micro de la radio pirate Strange FM jusqu’en 1996. En 2003, il rejoint la radio francilienne Générations 88.2, spécialisée dans les musiques urbaines et qui se caractérise à l’époque par des débats citoyens. Yassine Belattar y tient des chroniques humoristiques, puis anime la matinale en compagnie de Thomas Barbazan, qui deviendra dès lors son acolyte de toujours. Le duo fonde le collectif Barre de rire en 2006, avec les futures stars du stand-up français telles que Thomas N’Gijol, Fabrice Éboué ou le Comte de Bouderbala. La même année, il est chroniqueur dans l’émission « En aparté », de Pascale Clark, sur Canal+. Après des passages au Mouv’, France 4, Beur FM et Comedie+, il anime aujourd’hui une chronique matinale avec Thomas Barbazan sur Nova. En novembre 2015, il devient copropriétaire du Théâtre de Dix Heures, à Paris, où il joue son one-man-show Ingérable.