
© Lahcène Abib
Ce vendredi comme à l’accoutumée, les Strasbourgeois hâtent le pas pour assister à la prière de jumu‘a. Dans l’ancienne usine de foie gras transformée en mosquée, il règne un charme tout alsacien. Des poutres apparentes traversent les pièces claires, propres et ordonnées. Au milieu des années 1970, ils étaient une quinzaine à se réunir pour prier dans une salle en sous-sol, prêtée par l’Église. Le groupe rassemble alors des jeunes de l’AEIF (Association des étudiants islamiques de France) et des ouvriers. En 1982, ils achètent les locaux de cette usine, impasse de mai, en centre-ville, désormais devenue lieu de culte sur une
surface de 800 m2 et ouverte aux 1 000 fidèles réguliers (1 500 durant le mois de ramadan). Lors des fêtes de l’Aïd, ils sont entre 6 et 7 000 à converger vers le
parc des expositions mis à leur disposition par la mairie.
Un projet architectural d’envergure européenne
Dès 1991, l’idée d’une vraie Grande Mosquée fait son chemin. L’arrivée du nouveau président Abdallah Boussouf va lui donner de l’ampleur. Selon lui, parce que Strasbourg est capitale de l’Europe, elle se doit de posséder une mosquée digne, d’envergure européenne. Catherine Trautmann, alors maire de Strasbourg et théologienne de formation, y est favorable. En 1996, le projet de Grande Mosquée est présenté au Parlement européen.
Une société civile immobilière (SCI) est dès lors créée, dont Fouad Douai devient le gérant. Cette forme juridique permet de protéger le patrimoine commun et de récupérer la TVA. Le conseil municipal lui met à disposition un terrain de 10 300 m2 par bail emphytéotique* ; et la SERS, constructeur du siège du Parlement européen, est désigné comme maître d’ouvrage délégué.
Cinq cabinets d’architectes internationaux sont consultés. En 2000, le jury, rassemblé au musée d’Art contemporain, est représentatif de la société civile strasbourgeoise. Le choix des fidèles (consultés par vote) désigne la proposition de l’italien Paolo Porthogesi, auteur de la mosquée du Centre islamique de Rome ; c’est aussi celui du jury. Porthogesi défend une vision européenne, en privilégiant les espaces dédiés à l’enseignement et à l’échange interculturel et interreligieux. Le résultat récompense ainsi une collaboration entamée depuis 1993, avec l’équipe Trautmann-Ries.
Une société civile immobilière (SCI) est dès lors créée, dont Fouad Douai devient le gérant. Cette forme juridique permet de protéger le patrimoine commun et de récupérer la TVA. Le conseil municipal lui met à disposition un terrain de 10 300 m2 par bail emphytéotique* ; et la SERS, constructeur du siège du Parlement européen, est désigné comme maître d’ouvrage délégué.
Cinq cabinets d’architectes internationaux sont consultés. En 2000, le jury, rassemblé au musée d’Art contemporain, est représentatif de la société civile strasbourgeoise. Le choix des fidèles (consultés par vote) désigne la proposition de l’italien Paolo Porthogesi, auteur de la mosquée du Centre islamique de Rome ; c’est aussi celui du jury. Porthogesi défend une vision européenne, en privilégiant les espaces dédiés à l’enseignement et à l’échange interculturel et interreligieux. Le résultat récompense ainsi une collaboration entamée depuis 1993, avec l’équipe Trautmann-Ries.
Bail emphytéotique : bail immobilier de très longue durée en échange d’un loyer modique et de la mise en valeur du bien.

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Vers une égalité des cultes ?
Mais l’arrivée de l’équipe UMP de Fabienne Keller, de 2001 à 2007, à la tête de la ville rebat les cartes. 2001, « l’année de la tristesse », comme l’appelle
Abderrahim El Heloui, ancien secrétaire général de la mosquée. « L’échec de la gauche aux municipales et l’attentat du 11 septembre ont un temps figé le mouvement, rappelle-t-il. Cela n’a été, grâce à Dieu, que temporaire. » L’idée d’une place pour l’islam en terre de concordat, aux côtés des autres grandes religions, fait bon an mal an son chemin. Le président Driss Ayachour, élu en 2003, s’attelle aussitôt à la tâche, obtenant un renouvellement du permis de construire, puis la validation du projet. Mais celui-ci est amputé des deux tiers : exit le minaret et la partie culturelle ouverte sur l’autre. « L’Islam et l’Autre » fait justement l’objet d’un colloque, organisé par la mosquée sous le haut patronage du secrétaire général du Conseil de l’Europe en 2004. M. Ayachour y défend son point de vue : celui d’un islam de concorde et de paix. La recherche de solutions enracinées dans le territoire comme en témoignent la création de la SCI ou la référence faite au savant andalou Averroès révèle un choix culturel musulman, européen et strasbourgeois, et plaide pour un élargissement du concordat à l’islam.
Du culte à la culture
La mosquée est constituée de deux personnes morales : l’association Grande Mosquée de Strasbourg (GMS) pour le culte et l’association Averroès pour le culturel.
Au sein de l’association Averroès, Assya Youyou, responsable du comité El Fihria, et Habiba Al Aabqary, enseignante, sont le coeur féminin de la mosquée. Assya organise des sorties pour les adolescents. Son but ? L’enrichissement culturel grâce à la visite de lieux chargés d’histoire pour qu’ils découvrent leur ville. « Strasbourg ne doit pas leur être étrangère et ils ne doivent pas y vivre en étrangers ! » Habiba, quant à elle, soutient que la langue véhicule la culture. « Les enfants maîtrisant plusieurs langues sont plus ouverts au monde. » Elle ouvre à la mosquée une classe expérimentale d’arabe littéral pour stimuler l’apprentissage précoce. Ils étaient 7 au départ, ils sont aujourd’hui 120, grâce aux parents convaincus par la méthode et qui ont opté pour une scolarisation alternée
Au sein de l’association Averroès, Assya Youyou, responsable du comité El Fihria, et Habiba Al Aabqary, enseignante, sont le coeur féminin de la mosquée. Assya organise des sorties pour les adolescents. Son but ? L’enrichissement culturel grâce à la visite de lieux chargés d’histoire pour qu’ils découvrent leur ville. « Strasbourg ne doit pas leur être étrangère et ils ne doivent pas y vivre en étrangers ! » Habiba, quant à elle, soutient que la langue véhicule la culture. « Les enfants maîtrisant plusieurs langues sont plus ouverts au monde. » Elle ouvre à la mosquée une classe expérimentale d’arabe littéral pour stimuler l’apprentissage précoce. Ils étaient 7 au départ, ils sont aujourd’hui 120, grâce aux parents convaincus par la méthode et qui ont opté pour une scolarisation alternée
Strasbourg, capitale d’exception
Carrefour Européen. Strasbourg, 7e ville de France, 272 500 habitants, est située dans l’est de la France, au coeur de l’Europe, et est reliée par le TGV européen inauguré en 2007. Le Rhin courtise une architecture dont la cathédrale en dentelle est le joyau ; son centre-ville est classé patrimoine mondial par l’UNESCO. Strasbourg, la bilingue, est, depuis le traité de 1949, capitale de l’Europe, où siègent le Conseil de l’Europe, le Parlement européen et où veille le Palais des droits de l’homme. Le concordat, en vigueur en Alsace-Moselle depuis 1801, reconnaît et organise les quatre cultes reconnus : catholique, protestants (luthérien et réformé) et juif. Curés, pasteurs et rabbins sont ainsi fonctionnaires de l’État et les collectivités publiques participent aux dépenses du culte. Deux facultés de théologie (protestante, fondée en 1538, et catholique, en 1911) sont intégrées à l’université.

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Être aumônier : une charge publique
Un aumônier est, en France, une personne rattachée à l’Église ou à un établissement, qui fait aumône de son temps pour soulager la souffrance.
Réconfort. Les aumôniers musulmans sont, aux côtés des catholiques et des protestants, les présences religieuses des hôpitaux et des établissements pénitentiaires. Ils sont trois, à la Grande Mosquée de Strasbourg, à exercer cette fonction. Mohamed Tahiri est aumônier militaire ; Chaïb Choukri travaille avec la Direction pénitentiaire régionale, tout en coordonnant la FAMU (Fédération des aumôniers musulmans), qui intervient dans une quarantaine d’établissements pénitentiaires sur le Grand Est ; et Mohamed Latahy exerce dans les hôpitaux universitaires de Strasbourg. En 1985, un aumônier catholique contacte la mosquée de Strasbourg en faveur des prisonniers musulmans.
L’engagement est exigeant, il faut attendre 1993 pour que Chaïb Choukri, membre de la mosquée depuis 1970, en prenne la charge de façon stable. Il met tout son coeur dans l’action et cela se sait ! Quand, en 1997, il est convié à déjeuner avec le directeur régional, le DRH des établissements pénitentiaires et les grands aumôniers catholique et protestant, c’est pour se voir proposer l’aumônerie musulmane régionale. Mohamed Latahy est comme son comparse un homme sincère, qui ne se départit pas de sa bonne humeur. Son oeil rieur ne raconte pas la détresse des malades en fin de vie. Il ne juge pas, soutient, soulage constamment en relation avec les services sociaux. Il accompagne les personnes atteintes du sida, apporte l’éclairage de la jurisprudence sur les questions bioéthiques, sur la mort, sur la souffrance. Formé au fiqh, il est dans l’hôpital où se trouve le bureau de l’aumônerie, la lumière d’un islam offert à ceux qui cherchent le réconfort et le rappel.
L’engagement est exigeant, il faut attendre 1993 pour que Chaïb Choukri, membre de la mosquée depuis 1970, en prenne la charge de façon stable. Il met tout son coeur dans l’action et cela se sait ! Quand, en 1997, il est convié à déjeuner avec le directeur régional, le DRH des établissements pénitentiaires et les grands aumôniers catholique et protestant, c’est pour se voir proposer l’aumônerie musulmane régionale. Mohamed Latahy est comme son comparse un homme sincère, qui ne se départit pas de sa bonne humeur. Son oeil rieur ne raconte pas la détresse des malades en fin de vie. Il ne juge pas, soutient, soulage constamment en relation avec les services sociaux. Il accompagne les personnes atteintes du sida, apporte l’éclairage de la jurisprudence sur les questions bioéthiques, sur la mort, sur la souffrance. Formé au fiqh, il est dans l’hôpital où se trouve le bureau de l’aumônerie, la lumière d’un islam offert à ceux qui cherchent le réconfort et le rappel.
Repères
• 1999 : création de la SCI Grande Mosquée de Strasbourg.
• 1999 : création de la SCI Grande Mosquée de Strasbourg.
• 2000 : signature d’un bail emphytéotique* pour le site Heyritz, valable jusqu’en 2050.
• Terrain : 10 300 m2 ; Grande Mosquée : 2 000 m2.
• 29 octobre 2004 : pose de la première pierre ; arrêt des travaux durant l’année 2008.
• Coût total estimé : 6,5 millions d’euros.
• Financement public (Région : 8 % du budget ; département : 8 % ; ville : 10 %) : 1,6 million d’euros.
• 400 élèves fréquentent les cours d’arabe (à partir de la maternelle) et les cours de soutien (jusqu’au baccalauréat).

© Lahcène Abib
Portrait
Docteur en sciences physiques et professeur de mathématiques, Driss Ayachour est président de la Grande Mosquée de Strasbourg (GMS) depuis 2003 et de la Coordination des associations musulmanes de Strasbourg (CAMS), de 2005 à 2008.
Mais, depuis juin dernier, il est aussi devenu président du CRCM Alsace-Moselle. Aussi a-t-il choisi de quitter la tête de GMS, en terminant son mandat sur l’imminente reprise des travaux complexes du dôme de la Grande Mosquée.
Ce projet lui aura permis de s’inviter dans le débat et de dialoguer avec les édiles locaux. « À la mosquée de Strasbourg, on ne se dispute pas la responsabilité ! Les présidents ont toujours démissionné pour laisser la place à un successeur préparé à prendre la relève. C’est nécessaire pour former de nouveaux cadres. »
Ce projet lui aura permis de s’inviter dans le débat et de dialoguer avec les édiles locaux. « À la mosquée de Strasbourg, on ne se dispute pas la responsabilité ! Les présidents ont toujours démissionné pour laisser la place à un successeur préparé à prendre la relève. C’est nécessaire pour former de nouveaux cadres. »
Il va maintenant défendre les dossiers du CRCM, en priorité celui des cantines scolaires et du carré musulman dans les cimetières.