
El Mutakallimûm, qui veut dire « les orateurs » en arabe, est votre 5e album. C’est un hommage aux poètes du monde arabe. Pourquoi ce choix ?
Souad Massi : Quand je ne suis pas bien, je me réfugie dans la poésie. Cela me fait du bien de m’immerger dans une autre époque, de découvrir d’autres sensations, d’autres atmosphères. Cela me procure un sentiment d’apaisement. J’avais surtout envie de partager cela : si ça me fait du bien, c’est que ça peut le faire à d’autres ! Je l’ai fait aussi parce que j’en ai assez qu’on nous stigmatise, qu’on nous associe à l’ignorance et à la sauvagerie ou au terrorisme. Le plus grand médecin qui a inspiré tous les contemporains est Avicenne ; le plus grand mathématicien qui a inventé l’algorithme et l’algèbre est Al-Khwârizmî ; et les plus grands scientifiques ont travaillé sur des œuvres de chercheurs arabes, idem pour les philosophes.
Vous êtes venue en France en 1999 pour un concert et vous êtes restée…
Oui, j’étais venue pour trois jours et on m’a fait une belle proposition. Je ne pensais pas que j’allais rester en France. La plupart des jeunes rêvaient de ce pays ; moi, je n’y pensais pas du tout. Ce n’était pas un pays qui m’attirait, même si j’ai toujours adoré la langue française et sa culture. Je suis une grande fan de Victor Hugo, j’ai grandi avec ses textes. Mes parents francophones m’ont transmis cet amour de la poésie et de la culture française. Lorsqu’on m’a proposé de rester, j’en ai parlé avec ma famille et elle m’a dit : « Tente ta chance ! » car, à cette période, je pensais arrêter la chanson.
On trouve beaucoup de nostalgie dans votre musique, est-ce le mal du pays ?
En Algérie, j’ai vécu dans une grande famille et, en venant ici, je me suis retrouvée toute seule dans un studio. Cela me faisait penser à mon grand-père qui était venu seul ici et qui a travaillé dans le bâtiment et le chemin de fer. Il est mort dans d’étranges circonstances. Quand j’ai fait Paris avec Marc Lavoine, je pensais à lui qui était perdu dans les rues de Paris et économisait pour envoyer au bled. Je pense aussi aux chibanis d’aujourd’hui qui vivent dans des chambres d’hôtel pourries où ils paient 500 € et d’où l’on veut les virer. Ils sont obligés de rester ici six mois pour toucher leurs retraites et s’ils rentrent chez eux on leur coupe tout. Ils ont servi la France comme chair à canon. Pourquoi n’y a-t-il pas de reconnaissance ? C’est un manque de respect. Ils ont travaillé honnê- tement, paient leurs impôts : ils méritent de vivre dignement. Dans cet album, je suis passée à autre chose, avec moins de nostalgie. Les titres sont plus philosophiques et plus politiques.
Vos parents étaient très attachés à la culture et à la musique. Pouvez-vous nous confier des souvenirs d’enfance ?
J’ai grandi dans un quartier populaire d’Alger, qui s’appelle Bologhine, sur les hauteurs d’Alger, en haut de Notre-Dame d’Afrique. J’ai grandi avec les sonorités des musiques chaâbi. Mes cousins jouaient tous les soirs des reprises d’El Hachemi Guerouabi ; et moi, j’étais là, j’écoutais et j’ai grandi comme ça. Mon père, lui, tous les soirs aussi, faisait tourner ses vinyles de musique chaâbi ou de musique française. On écoutait beaucoup Jacques Brel.
C’est ce qui vous a donné envie de faire de la musique ?
Non, pas du tout ! Cela m’est venu plus tard, vers 17 ou 18 ans. J’aimais la poésie, l’écriture, la lecture. Je rêvais de devenir metteur en scène ou réalisatrice. J’écrivais des scénarios, je me faisais des films. C’est seulement plus tard que je me suis mise à composer des chansons sans me rendre compte, puis j’ai commencé à chanter. J’ai fait une école technique, j’ai passé ma vie avec du ciment, du bâtiment, des calculs, des dosages… Lire et écrire étaient mon refuge. Je refusais tellement mon quotidien que j’avais besoin de m’évader.
Pourquoi être passée d’ingénieure à chanteuse ?
Le choix d’ingénieure est psychologique car on avait beaucoup de problèmes dans ma famille. On était toujours en mouvement. Et si mes deux frères et moi sommes ingénieurs en bâtiment, c’est parce qu’on cherchait quelque chose de solide. On cherchait la stabilité parce que mon père était expertcomptable et qu’on n’arrêtait pas de déménager. Cela nous a tous perturbés. Inconsciemment, on est parti vers le génie civil, vers la construction, vers les fondations parce qu’on avait envie de stabilité. Je ne pensais même pas en rêve à la musique ! Il n’y avait aucune femme artiste dans ma famille, c’était mal vu à l’époque.
Quel regard portez-vous sur les événements qui touchent les pays musulmans (Syrie, Tunisie, Irak…) ?
Je ne suis pas politologue, je ne suis pas visionnaire, mais je suis une femme, citoyenne du monde, qui s’intéresse à la politique. Je pense qu’il y a une vraie crise mondiale, économique, et qu’on cherche des faux problèmes pour masquer tout cela. Plein de pays européens ont puisé leurs richesses en Afrique ; et maintenant qu’ils ne peuvent plus le faire, ils sont obligés de créer des guerres pour aller chercher le pétrole et l’argent ailleurs. Nous devons faire attention à ne pas consommer les informations comme des moutons.
On vous retrouve aussi au cinéma dans Eyes of a Thief (2014) réalisé par la Palestienne Najwa Najjar. Racontez-nous.
J’ai incarné Lila, une femme qui a deux enfants et qui travaille comme couturière. Elle se bat pour garder son atelier. En parallèle, il y a un jeune résistant qui cherche sa fille adoptée par Lila. C’est une histoire d’amour et aussi un message de tolérance: on ne règle aucun problème avec les armes. On y dénonce des militaires israéliens qui brû- lent un village palestinien. C’est malheureusement un film qui ne sera jamais diffusé en France. Le film a pourtant été nominé aux Oscars aux États-Unis, il y a eu des projections en Égypte, en Algérie, en Palestine, mais c’est tout. En Angleterre, il y a eu des projections mais pas de distribution : il y a une censure.
Quel est votre rapport à la religion ?
J’ai la foi, bien sûr. Elle m’a beaucoup aidée à surmonter des obstacles dans ma vie. Je suis pratiquante et ouverte d’esprit. Je pratique le jeûne du Ramadan et fais la prière. Je respecte toutes les religions. J’aime l’islam qui m’a appris à respecter les gens, à les aimer et à être tolérante. Quelqu’un qui va m’insulter ou dire que ma religion est une religion de sauvages, je ne l’accepte pas. Parce que dans toutes les religions les hommes ont fait des erreurs. À une époque, c’était les juifs qu’on détestait ; aujourd’hui, c’est peut- être notre tour.
BIO EXPRESS
Née le 23 août 1972 à Alger, Souad Massi est issue d’une famille de six enfants où musique et poésie régissaient leurs longues soirées. En 1989, elle commence à arpenter les scènes algéroises en poursuivant des études d’urbanisme. Peu de temps après, la chanteuse rejoint le groupe de hard rock Atakor, avec qui elle enregistre un premier album en 1997, qui rencontre un grand succès. L’année suivante, elle quitte le groupe et sort un mini-album aux sonorités country. En 1999, elle est invitée à participer au festival « Femmes d’Algérie » au Cabaret sauvage, à Paris. Frappé par son charisme et son talent, le directeur artistique du label Island-Mercury lui propose de signer. Souad reste à Paris et sort deux ans plus tard son premier album Raoui. Avant de réaliser son 2e opus, elle collabore avec la crème de la variété française : Paris avec Marc Lavoine et Savoir aimer avec Florent Pagny. Sort enfin Deb, album nominé aux Victoires de la musique en 2004, suivi de Mesk Elil qui décroche la Victoire du meilleur album de musiques du monde en 2006. Son 4e album Ô Houria paraît en 2010 : coréalisé par Francis Cabrel, il est entièrement chanté en français. « Un hommage à mes fans français qui ne comprennent pas l’arabe », dit-elle. De retour cinq ans après, le temps des hommages est aux poètes arabes, cette fois avec un magnifique album El Mutakallimûm sorti en avril 2015.
Née le 23 août 1972 à Alger, Souad Massi est issue d’une famille de six enfants où musique et poésie régissaient leurs longues soirées. En 1989, elle commence à arpenter les scènes algéroises en poursuivant des études d’urbanisme. Peu de temps après, la chanteuse rejoint le groupe de hard rock Atakor, avec qui elle enregistre un premier album en 1997, qui rencontre un grand succès. L’année suivante, elle quitte le groupe et sort un mini-album aux sonorités country. En 1999, elle est invitée à participer au festival « Femmes d’Algérie » au Cabaret sauvage, à Paris. Frappé par son charisme et son talent, le directeur artistique du label Island-Mercury lui propose de signer. Souad reste à Paris et sort deux ans plus tard son premier album Raoui. Avant de réaliser son 2e opus, elle collabore avec la crème de la variété française : Paris avec Marc Lavoine et Savoir aimer avec Florent Pagny. Sort enfin Deb, album nominé aux Victoires de la musique en 2004, suivi de Mesk Elil qui décroche la Victoire du meilleur album de musiques du monde en 2006. Son 4e album Ô Houria paraît en 2010 : coréalisé par Francis Cabrel, il est entièrement chanté en français. « Un hommage à mes fans français qui ne comprennent pas l’arabe », dit-elle. De retour cinq ans après, le temps des hommages est aux poètes arabes, cette fois avec un magnifique album El Mutakallimûm sorti en avril 2015.