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Saint-Etienne : « Grande Mosquée melting-pot »



On l’avait prévue simple, mais la mosquée de Saint-Étienne, aux atours architecturaux typiquement marocains, sera sûrement l’une des plus belles mosquées de France. Zoom sur la Grande Mosquée stéphanoise.


© France Keyser
© France Keyser
Impossible de manquer ce lieu cultuel, à Saint-Étienne. Son côté lumineux et son minaret ocre jaune font que l’on voit la mosquée de loin. Celle-ci vient s’inscrire dans un paysage où, en arrière-plan, on aperçoit le clocher de l’église, toute proche, de la place Garibaldi. Une cohabitation tout en douceur. Le minaret, originellement prévu pour une hauteur de 21 mètres, s’élève aujourd’hui à 14 mètres pour mieux se fondre dans l’environnement urbain.
 
Le bâtiment est en effet situé en plein coeur du quartier du Soleil, non loin de la gare, bien que, pour l’instant, il soit encore mal desservi par les transports en  commun. Pour que la Grande Mosquée soit présente aujourd’hui sur ce terrain de la Loire − un site d’une ancienne usine d’hydrocarbures −, il en a fallut du temps. Même s’il existe une dizaine de lieux où les musulmans peuvent pratiquer leur culte…

L’aventure Grande Mosquée démarre en 1982, quand Larbi  Marchiche, président de la mosquée, et Hamend Bouzanih montent leur association. Ils achètent un terrain ancien mais la ville veut se l’approprier pour construire un zénith. La municipalité échange alors ce terrain contre un autre, deux fois plus grand, qu’elle attribue à l’association. S’ensuivent l’obtention du permis de construire et la visite du ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, en 2003, qui se mobilise pour que la mosquée ait un minaret. Il prononce alors un discours qui entend « sortir l’islam des caves ».

Une aide du Maroc…

2004 : début de la construction. On pose la première pierre et on bâtit le gros oeuvre. Les fonds récoltés n’étant pas mirobolants, Larbi Marchiche pense à une mosquée toute simple, sans véritable décor. Durant la même année, il se rend au Maroc, son pays d’origine, et rencontre le roi en personne, au Palais royal, afin de lui expliquer son projet de mosquée et tenter d’obtenir son soutien. Pari gagné. Mohammed VI souhaite faire un don de 200 000 euros.
 
En 2005, M. Marchiche rend de nouveau visite au roi – classé par le magazine Forbes parmi les monarques les plus riches de la planète… – et tous deux s’entendent sur une décoration marocaine pour ce haut lieu de culte. Les travaux seront réalisés par une entreprise envoyée spécialement du Maroc, est-il alors décidé. Ce sont finalement 3 millions d’euros – les 3 autres millions provenant des fidèles de la mosquée stéphanoise – que le roi débloque pour financer les différents corps de métiers des ouvriers marocains. Un don controversé : certains estiment que l’argent aurait été davantage profitable pour nourrir la population pauvre du Maroc.
© France Keyser
© France Keyser

… et de la France
 
Alors que le problème de financement n’est – enfin ! − plus d’actualité et que les ouvriers doivent arriver en France, il reste un souci majeur : les visas. Après l’intervention du Maroc pour la construction de la mosquée, c’est au tour de la France de donner un petit coup de pouce… Et c’est le préfet Pierre Soubelet qui s’en charge, aidant les ouvriers à obtenir leur visa. Puis tout s’enchaîne.

Mai 2009 : les travaux de décoration commencent. Il faut alors s’exécuter sur 1 400 m², dont une grande pièce et un étage. Autant dire qu’il ne s’agit pas d’une mince affaire ! Du plafond sculpté à la main à la mezzanine en bois, en passant par les mosaïques et les balustrades, rien n’est laissé au hasard. Un sens du détail qui rend l’endroit magnifique.

Durant les travaux – sous la direction de l’architecte Abdelkrim Kamal −, les fidèles prient sous un chapiteau, mis provisoirement à disposition par la ville, et situé à côté de l’édifice. Ce chapiteau rappelle une anecdote à Larbi Marchiche : « Le chapiteau avait brûlé [en 2008, ndlr]. On a branché un haut-parleur pour réciter l’adhân [appel à la prière] comme il se fait d’habitude. Il s’est avéré qu’on l’entendait dans une partie de la ville… ce qui n’a pas vraiment plu aux voisins ! On a alors tout enlevé, on n’est pas dans un pays musulman… », raconte-t-il, amusé. Maintenant que le bâtiment a été construit, plus de nuisances sonores à craindre ! D’autant que le  minaret, « symbole de notre religion, est décoratif. […] Il n’y a pas d’appel à la prière lancé à partir de ce minaret », a tenu à préciser M. Marchiche peu après les résultats de la votation suisse contre la construction de nouveaux minarets. « Une mosquée sans minaret, c’est comme une église sans clocher », fait-il remarquer. 

Un lieu inscrit dans la ville
 
Si les dirigeants de la mosquée sont presque tous marocains, les fidèles, eux, sont de toutes origines. La ville de Saint-Étienne a en effet connu une immigration maghrébine, mais aussi turque et comorienne.

Dès que la Grande Mosquée sera achevée, le chapiteau sera remplacé par un centre culturel, qui devrait ouvrir ses portes en 2011, où la langue arabe sera enseignée et des cours de soutien scolaire seront dispensés aux enfants. L’inauguration est prévue pour le printemps 2010, en présence du roi Mohammed VI. Compte tenu de la magnificence du lieu, les habitants attendent avec impatience la journée officielle d’ouverture…

ALLEZ, LES VERTS !

Renouveau. Située dans le département de la Loire et dans la Région Rhône-Alpes, Saint-Étienne est à 50 km de Lyon et à 3 heures de Paris en train. La ville s’est développée avec les premiers chemins de fer d’Europe, les mines de charbon, la rubanerie et la métallurgie. Dès le XVe siècle, elle est un centre de production métallurgique, d’armes blanches puis d’armes à feu. La ville devient emblématique de Manufrance, entreprise fondée en 1885 et qui a fermé ses portes un siècle plus tard. Se trouve aussi le siège social du 2e groupe de distribution de France : Casino. L’optique, le design, notamment, sont de nouveaux secteurs d’activité.
 
Le football a contribué au rayonnement de la ville sur le plan national. Aimé Jacquet, Michel Platini, Laurent Blanc ou encore Rachid Mekloufi ont fait partie des Verts, qui ont dominé les années 1970. Le stade Geoffroy-Guichard, de 36 000 places, continue d’assurer la réputation stéphanoise.

De g. à dr. : Mohammed Moussaoui , Pierre Soubelet, Abdelkrim Kamal , Maurice Vincent, lors de leur visite à la Grande Mosquée. © France Keyser
De g. à dr. : Mohammed Moussaoui , Pierre Soubelet, Abdelkrim Kamal , Maurice Vincent, lors de leur visite à la Grande Mosquée. © France Keyser
« VIVRE ENSEMBLE, CELA PASSE AUSSI PAR DES LIEUX »

Les élus suivent de près l’évolution de ce symbole architectural de l’islam qu’est la Grande Mosquée de Saint-Étienne.

Rayonnement. Le 26 octobre, le recteur Larbi Marchiche et toute son équipe présentaient l’évolution des travaux à la presse et aux élus. Le consul général du Maroc à Lyon Saâd Bendourou, le préfet Pierre Soubelet, le maire Maurice Vincent, son premier adjoint Michel Coynel et le président du CFCM Mohammed  Moussaoui y assistaient.

« Il est nécessaire que les musulmans pratiquent leur culte dans des conditions dignes. Je suis très attaché à la laïcité ; et vivre ensemble, cela passe aussi par des lieux », déclare Maurice Vincent, maire (PS). Attentif, il visite la mosquée et félicite M. Marchiche en sortant : « C’est une décoration de grande qualité, à l’intérieur et à l’extérieur. » Et il n’est pas le seul.

Le préfet Pierre Soubelet tient aussi à souligner « la beauté du site » et déclare, lors du buffet organisé par les fidèles : « Passer du chapiteau à cette mosquée est très important pour la religion. Je félicite tous ceux qui ont participé à cette décoration. À mon avis, les musulmans de Saint-Étienne seront très contents. »« La communauté musulmane est très importante. À Saint-Étienne, il y a eu beaucoup d’immigration venant du Maghreb. On ne peut pas toujours favoriser la pratique religieuse dans des lieux dignes, mais quand on le peut, on le fait », ajoute M. le Maire.

Le président du CFCM Mohammed Moussaoui a une vision de cette mosquée à l’échelle de la France : « Ce genre de mosquée est un symbole de l’intégration de l’islam en France. Les mosquées sont passées par  plusieurs phases. Elles ont d’abord connu les caves, les appartements HLM, mais maintenant nous avons de vraies mosquées. » 

Repères
• 1982 : création de l’association pour la construction de la Grande Mosquée.
• 2004 : pose de la première pierre. 
• 2005 : négociations entre l’association et le roi du Maroc pour le financement de la décoration.
• 2009 : début des travaux de décoration.
Superficie : terrain : 8 833 m2 ; salle de prière : 1 400 m².
• Capacité d’accueil : jusqu’à 2 000 fidèles.
• Coût estimé du projet : 6 millions d’euros (3 millions versés par les fidèles et 3 millions par le roi du Maroc).
• Inauguration : printemps 2010.

© France Keyser
© France Keyser
Portrait

Larbi Marchiche, recteur de la Grande Mosquée de Saint-Étienne, né en 1949, est originaire du Maroc. À 21 ans, il quitte son pays natal pour la France. Il passe  trois ans à Paris, puis continue sa route vers Saint-Étienne, et travaille dans une usine. Il crée une association en 1982. C’est le début de l’aventure de la Grande Mosquée, pour laquelle il va tout donner. Directeur du centre socioculturel marocain de Saint-Étienne, il est aussi l’un des dirigeants de la Fédération nationale des musulmans de France (FNMF). Marié, ce père de famille passionné avoue ne pas avoir trop de temps pour ses huit enfants. Sarra, sa fille de 15 ans, raconte : « Mon père n’a pas un jour de repos. Il a essayé de faire au mieux pour les musulmans de Saint-Étienne. La mosquée, c’est toute sa vie. »

Reportage de Sonia Carrère le Mardi 1 Décembre 2009


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