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Sabrina Ouazani : « La France est métissée, son cinéma doit lui ressembler ! »



Aussi à l’aise dans un court métrage d’auteur que dans une superproduction, Sabrina Ouazani est la valeur sûre du moment. Alliant à la fois la fraîcheur d’une beauté brute et l’authenticité d’une femme forte, elle se dévoile sans langue de bois. Rencontre avec cette jeune actrice qui deviendra grande…


© D. R.
© D. R.


Pour « Inch’Allah », vous venez tout juste de décrocher l’équivalent du César du meilleur second rôle féminin au Canada à la cérémonie des Jutra. Quel effet cela fait ?

Sabrina Ouazani : C’est dingue ! On m’avait annoncé trois jours avant ma nomination et que j’étais la favorite. Alors je n’ai pas eu trop le temps de réaliser que déjà je sautais dans un avion et me retrouvais à cette superbe soirée. Nathalie Baye concourait dans la même catégorie, je n’aurais jamais pensé l’emporter sur elle ! Une fois sur scène, j’avoue avoir oublié ma liste des remerciements et j’ai simplement pensé à mes parents, en espérant qu’ils seraient fiers de moi !

Comment avez-vous su saisir la puissance de votre personnage fort, Rand, une Palestinienne enceinte, dont le mari est détenu dans une prison israélienne ?

S. O. : Ce scénario, c’était avant tout une claque. Anaïs Barbeau-Lavalette, la réalisatrice canadienne, recherchait initialement une Palestinienne pour mon rôle. Alors, quand finalement j’ai été prise, j’ai dû me battre deux fois plus pour asseoir ma crédibilité. J’ai appris en observant la vie des femmes dans les camps de réfugiés palestiniens, où nous vivions pendant le tournage en Jordanie. Ces femmes qui sont si proches de la mort au coeur du conflit et de l’exil, elles ont cette urgence de survivre. Il y a quelque chose de tellement vivant et lumineux en elles. J’ai aussi puisé dans l’expérience de la réalisatrice, qui a vécu elle-même plusieurs mois en Palestine.

Un rôle qui vous a demandé aussi une certaine préparation…

S. O. : Je devais apprendre l’arabopalestinien avec une direction en anglais, ce n’était vraiment pas évident ! J’ai eu cinq semaines de préparation pour apprendre l’arabe, moi qui ne le maîtrise pas forcément. J’écoutais inlassablement, dans les transports, au coucher, n’importe quand, l’enregistrement de mon coach pour m’imprégner de la musicalité de la langue. J’ai aussi beaucoup travaillé sur le physique, jusqu’à prendre 10 kilos. J’ai changé ma posture, ma façon de me mouvoir… Ce fut très intense !

Quelle vision du conflit israélo-palestinien vous êtes-vous forgée au sortir de cette expérience ?

S. O. : C’était très violent de voir les conditions des réfugiés, ce à quoi ils en sont réduits. Ce qui n’a pourtant rien retiré à l’exceptionnel accueil chaleureux. Pour le film, on a fait reconstruire le « mur », un choc pour moi. Cet édifice lourd et puissant érigé contre la paix. Je me convaincs en pensant que tout ce qui a été construit est amené à être détruit… c’est mon espoir. J’ai aussi compris que certains Israéliens souffrent de la situation, qu’ils le subissent à contrecoeur, comme cette obligation à servir dans l’armée.
 
En France, nous avons une vision trop manichéenne de ce conflit, alors que la réalité est plus complexe, plus colorée. Ce film, c’est avant tout une histoire de femmes, cette amitié impossible du trio de femmes, l’Israélienne, la Palestinienne et l’Occidentale qui vivent leurs propres luttes, à un âge où devrait régner l’insouciance de la vie.
 
Finalement, au sortir de ce tournage, je pensais affiner ma vision du conflit et, au contraire, elle s’est complexifiée.

Vous jouez souvent des rôles de femmes fortes, c’est votre ligne directrice ?

S. O. : Je marche aux coups de coeur avant tout, aussi bien un petit film d’auteur qu’un gros « blockbuster », du moment que mon personnage est crédible. Oui, j’ai envie de défendre cette image de la femme forte, orientale et pas soumise, c’est aussi la projection de ma propre vision des choses, j’ai un côté un peu féministe dans ce sens.

Des parcours de femmes qu’on retrouve aussi dans l’actualité…

S. O. : En interprétant ces femmes-là, je me renseigne bien entendu sur leurs grands combats à travers des reportages, des livres, les informations, surtout durant le Printemps arabe. Toutes ces femmes qui se sont levées ensemble pour revendiquer sans peur leurs droits et leur liberté : quel courage !

Avez-vous conscience de faire partie de la génération, à l’instar de Leila Bekhti ou de Hafsia Herzi, qui métisse le panorama du cinéma français ?

S. O. : J’espère bien, et j’en suis fière. Les réalisateurs nous font de plus en plus confiance, on les inspire et c’est tant mieux. La France d’aujourd’hui est métissée, alors autant que son cinéma lui ressemble. Je suis fière de mes origines, je suis typée et j’ai les cheveux bouclés. Alors qu’on ne me donne pas le rôle d’une « Bernadette », c’est tout à fait normal ; mais ce n’est pas grave, il y a tant d’autres rôles intéressants à jouer ! 

Vous venez de l’« autre côté du périph » : la petite « fille de la banlieue » qui foule le tapis rouge, ce n’est pas rien…

S. O. : Je viens de La Courneuve (Seine-Saint-Denis) et j’y habite toujours avec joie. Paris ne m’intéresse pas, je préfère ma banlieue, j’y suis trop bien. Je citerai Kerry James qui dit : « La banlieue a une voix, je ne suis qu’un de ces haut-parleurs. » C’est un peu mon message : dire que c’est possible, qu’on peut y arriver, peu importent ses origines sociales.

À 13 ans, je ne me serais jamais permis de rêver une once de ce que je vis aujourd’hui. Mais la banlieue, ce n’est pas que les stéréotypes qu’on lui connaît. Ce sont aussi de belles initiatives : des festivals, des  rencontres, des activités... Prenez l’exemple de l’initiative « Sport-vacances », qui consiste à faire rencontrer des jeunes avec des policiers au parc de La Courneuve. On est loin du clivage flics-voyous. Mais ça, on n’en parle pas assez ! 

Quels héritages socioculturels vos parents d’origine algérienne vous ont-ils légués ?

S. O. : Le respect des autres et, surtout, savoir rester humble. Ma mère me disait toujours : « Sois gentille avec les gens que tu croises en montant, car c’est les mêmes que tu croiseras en descendant. » Il y a aussi le respect des  valeurs culturelles et musulmanes. Je n’accepterai jamais de faire un film où l’on blasphème, je crains trop Dieu. Et pour les scènes impudiques, je demande toujours un doublage…

Le film s’appelle Inch’Allah, alors terminez cette phrase : « Inch Allah, dans dix ans… »

S. O. :  … Je continuerai de faire ce que j’aime, avec les gens que j’aime autour de moi.
 

BIO EXPRESS

Née le 6 décembre 1988, à Saint-Denis, Sabrina Ouazani débute sa carrière cinématographique à l’âge de 13 ans, dans L’Esquive (2002), d’Abdellatif Kechiche. Pour une jeune fille qui avait simplement répondu à un casting sauvage, cette expérience lui réussira bien, puisqu’elle décrochera une nomination aux Césars.
 
Dès 2006, elle enchaîne chaque année des films réalisés par les plus grands : notamment, J’attends quelqu’un (2006), de Jérôme Bonnell; Paris (2007), de Cédric Klapisch, La Graine et le Mulet (2007), d’Abdellatif Kechiche;  Nuit d’Arabie (2008), de Paul Kieffer ; Je suis heureux que ma mère soit vivante (2009), de Claude et Nathan Miller… Sa carrière prend un tournant décisif dans Des hommes et des dieux, de Xavier Beauvois, qui remporte le Grand Prix du jury du festival de Cannes 2010 et le César du meilleur film en 2011. Aux côtés de Leila Bekhti et de Hafsia Herzi, elle crève l’écran dans La Source des femmes (2011), de Radu Mihaileanu. 
 
Sabrina Ouazani alterne avec bonheur les comédies (De l’autre côté du périph, avec Omar Sy ; Mohamed Dubois, avec Éric Judor, en salles le 1er mai) et les drames (Inch’Allah, d’Anaïs Barbeau-Lavalette, actuellement en salles ; De guerre lasse, d’Olivier Panchot, qui sortira prochainement). Actuellement, elle est sur les planches du théâtre avec la pièce à succès Amour sur place ou à emporter, et tourne également en Algérie pour le nouveau film de Lyes Salem, L’Oranais. Autant dire que nous n’avons pas fini d’entendre parler d’elle…

Propos recueillis par Karima Peyronie le Mercredi 15 Mai 2013

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