
Avez-vous eu, comme beaucoup de journalistes, la vocation du métier très jeune ?
Rachid Arhab : Je vais être terriblement banal, mais oui ! Et c’est même daté, d’après ma famille : j’ai dit, à l’âge de 7 ans, que je voulais être journaliste. Cela m’est venu tout simplement parce que je lisais beaucoup les journaux que mon père rapportait à la maison, il y avait Le Monde et France Soir, qui était à l’époque le plus gros tirage de France. Même si je ne comprenais pas tout, loin de là, j’aimais ça. C’est devenu plus précis au collège. La jambe cassée, j’étais privé de match de basket alors je me suis mis à écrire des comptes rendus. Une vocation précoce donc, et réalisée.
Les écoles de journalisme restent encore assez difficiles d’accès à la « diversité ». Comment cela s’est passé pour vous ?
R. A. : Il y avait une forme d’inconscience de ma part à l’époque ; si j’avais réfléchis une minute, je me serais dit : « Tu n’as aucune chance ! » Je suis sorti de l’école de journalisme de Strasbourg (CUEJ) en 1977. Dans la France de ces années-là, s’appeler Rachid Arhab et vouloir travailler à la télévision française était en soi inconscient ! Strasbourg accueillait beaucoup d’étudiants étrangers, africains notamment. Mais ils repartaient chez eux. J’étais le seul qui portait un nom maghrébin et qui allait travailler en France. Au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), j’ai beaucoup travaillé avec les écoles de journalisme, car on ne forme pas encore assez de professionnels qui ressemblent à notre société.
Vous êtes encore, pour plusieurs générations, une figure de la diversité à la télévision depuis votre arrivée au JT de France 2 en 1998… Avec le recul, comment vous remémorez-vous ce moment ?
R. A. : À vrai dire, je garde surtout en mémoire les nombreuses occasions où j’ai failli mener le JT avant, sans que cela se fasse pour des tas de raisons plus ou moins avouables. On estimait à l’époque qu’on voulait me protéger, de peur de la réaction du public. C’est un exercice que je faisais déjà avant, ce n’était pas un événement pour moi. Mais il est vrai que je mesure aujourd’hui l’impact que cela a pu avoir sur les autres. Par exemple, j’ai des beaux-enfants dont le dernier était à peine né quand je faisais le journal : il ne me connaît qu’à travers cette fameuse interview de Jamel Debbouze qui reste encore dans les esprits.
On se rappelle en effet de ce mythique face-à-face avec Jamel Debbouze qui surjouait la surprise de découvrir un « Arabe » s’appeler Rachid Arhab et présenter le JT…
R. A. : Pour être honnête, c’est mon pire souvenir… À l’époque, j’ai très mal vécu cela. D’ailleurs, à la fin du journal, quand le générique commence et que le son est coupé, si on lit bien sur mes lèvres je dis : « Petit con ! » [rires]. Ce n’était pas méchant, mais je ne m’attendais tellement pas à ce qu’il me fasse un truc pareil ! Moi qui passais mon temps à vouloir être un journaliste comme les autres, et voilà Jamel qui vient souligner cela à gros traits… Avec le recul, c’est lui qui avait raison. Il a eu son petit coup de génie qui fait que cette séquence-là existe encore aujourd’hui.
En 2000, le public vous délivre le Sept d’or alors qu’au même moment le JT s’arrêtait…
R. A. : Oui… La patronne de l’info de l’époque estimait que le couple Arhab-Gaessler ne fonctionnait pas. Elle voulait tout simplement changer de présentateurs, voilà… C’est vrai que la malice, c’est qu’un mois plus tard on décroche le Sept d’or du meilleur présentateur de journal télévisé, un prix décerné par le public. C’était rigolo… Je crois que la chaîne a raté une belle occasion. Même Jean-Pierre Pernaut, qui était sur TF1, et qui l’est toujours, a avoué que nous étions les seuls qui pouvions un jour le déstabiliser. Il pensait qu’on resterait 20 ans ! D’une certaine façon, cela ne me gêne pas car je suis un nomade dans l’âme.
Membre du CSA, vous avez été notamment président du groupe de travail Diversité. Êtes-vous satisfait de votre mission ?
R. A. : J’ai beaucoup appris de façon générale. J’ai essayé d’agir, j’ai été actif auprès des patrons de presse, des responsables des ressources humaines. On a codifié un certain nombre d’engagements et d’améliorations. Un système, qui n’a rien à voir avec les quotas, et que j’espère que mes successeurs vont pouvoir gérer. Je serai toujours contre les quotas car cela aurait des effets pervers. Le chemin est encore long mais soyons positifs : entre ce que j’ai connu en 1977 et aujourd’hui, il y a quand même eu une évolution. On a vu apparaître des Aïda Touihri, par exemple. Mais ce n’est pas assez. Il y a encore trop de Ken et de Barbie à la télévision.
Aujourd’hui, vous vous intéressez toujours à l’audiovisuel public mais au niveau international ; en particulier au Maghreb…
R. A. : Oui, je me suis rendu compte au moment des printemps arabes, notamment en Tunisie, qu’il y avait pour des gens comme moi une responsabilité. Nous devons faire en sorte que la suite des événements soit positive. J’ai choisi la Tunisie, car il y avait une ouverture réelle depuis le départ de Ben Ali, ensuite parce qu’il y a eu des vraies demandes auxquelles j’ai pu répondre. Autant j’ai refusé d’être le porte-drapeau des enfants d’immigrés, autant aujourd’hui, quand on fait la boucle d’une carrière, on revient un peu vers son berceau. J’ai beaucoup travaillé avec le Maroc, j’essaie de le faire avec l’Algérie, même si c’est compliqué. Tous veulent ouvrir leur télévision et la rendre plus diverse.
Vous vous intéressez beaucoup aux religions, alors que vous n’êtes pas croyant…
R. A. : Je suis non croyant, mais je partage les valeurs du religieux : la tolérance, le partage... On a beaucoup à gagner à comprendre les religions. Quand j’étais enfant en Lorraine, où on vit encore sous le régime du concordat, j’étais dans une école primaire protestante puis dans un collège catholique. J’ai découvert la laïcité qu’une fois arrivé en faculté. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas la foi, c’est le comportement qu’on a sur terre. Comment on est digne. Quand on écoute le message religieux, c’est principalement un message de paix et d’acceptation de l’autre. Mais la présentation qu’on en fait est trop régulièrement celle du refus et de la violence…
BIO EXPRESS
Né le 26 juin 1955, à Larbaâ Nath Irathen, alors Fort-National en Kabylie (Algérie), Rachid Arhab est élevé par sa grand-mère devenue veuve très jeune. Son grand-père était directeur d’école. À l’âge de 3 ans, avec sa mère, il rejoint son père en Lorraine. Après une enfance paisible, il intègre le Centre universitaire d’enseignement du journalisme de Strasbourg.
Jeune journaliste, il intègre les bureaux régionaux de France Régions 3. Il devient grand reporter à Antenne 2 puis entre au service politique jusqu’en 1990. Mais Rachid Arhab se fait connaître définitivement du grand public en 1998. Il présente en duo avec Carole Gaessler le JT de 13 heures et jusqu’en septembre 2000. Il lance ensuite son émission « J’ai rendez-vous avec vous » sur France 2.
Jeune journaliste, il intègre les bureaux régionaux de France Régions 3. Il devient grand reporter à Antenne 2 puis entre au service politique jusqu’en 1990. Mais Rachid Arhab se fait connaître définitivement du grand public en 1998. Il présente en duo avec Carole Gaessler le JT de 13 heures et jusqu’en septembre 2000. Il lance ensuite son émission « J’ai rendez-vous avec vous » sur France 2.
En 2006, il est promu chevalier de la Légion d’honneur et, un an plus tard, il est nommé au Conseil supérieur de l’audiovisuel. Président du groupe de travail Diversité au sein du CSA, il met en place, avec des écoles de journalisme, un accès à la formation moins élitiste. Depuis la fin de son mandat en janvier 2013, il est davantage tourné vers les télévisions du Maghreb ; il développe des projets avec la Tunisie, notamment, et s’intéresse aussi à l’Afrique de l’Ouest.