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Montreuil : La difficile édification de la Grande Mosquée



La communauté musulmane montreuilloise, lassée de prier dans des caves ou des foyers inadaptés, tente de se doter depuis plusieurs années d’une Grande Mosquée. Pour réunir toutes les chances d’y parvenir, cinq associations se sont regroupées en 2004 en Fédération cultuelle des associations musulmanes de Montreuil. Leurs efforts sont enfin en passe d’être récompensés.


© Lahcène Abib
© Lahcène Abib
Voilà plus de deux ans que la première  pierre de la future Grande Mosquée de Montreuil (Seine-Saint-Denis) a été posée. Pourtant, au 215, rue de Rosny,  aucune trace de travaux. Le terrain semble être laissé à l’abandon. Un sujet de désolation pour l’imam Ahamadou Nimaga, également président de la Fédération cultuelle des associations musulmanes de Montreuil (FCAMM), qui avoue, de lui-même, avoir été « tenté de baisser les bras à de nombreuses reprises ». Car la construction de la Grande Mosquée de Montreuil n’en finit pas de connaître de multiples rebondissements.

Le dernier en date ? La décision du Mouvement national républicain (MNR) de se pourvoir en cassation devant le Conseil d’État en septembre dernier. Le parti d’extrême droite n’accepte pas, en effet, la décision de la cour d’appel de Versailles (Yvelines), qui a invalidé, le 6 août 2008, le recours en annulation pour bail illégal, déposé par l’élue MNR, Patricia Vayssière.

L’ancienne conseillère municipale MNR contestait la légalité du bail emphytéotique* (de 99 ans, ndlr) consenti à la FCAMM pour l’édification d’une mosquée. Plus que la durée du bail, c’est le montant du loyer (un euro symbolique par an) qui avait soulevé l’indignation de l’édile, qui dénonçait une forme de financement indirect et une atteinte au principe de neutralité de l’État, inscrit dans la loi de 1905.

Des arguments rejetés par la cour d’appel qui a estimé que « le principe constitutionnel de laïcité, qui implique la neutralité de l’État et des collectivités territoriales de la République et le traitement égal des différents cultes, n’interdit pas, par lui-même, l’octroi, dans l’intérêt général et dans les conditions définies par la loi, de certaines aides à des activités ou à des équipements dépendant des cultes ». 

© Lahcène Abib
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« Un lieu de prière digne » 
 
Une issue heureuse qu’attendaient avec impatience les musulmans de Montreuil : « Nous n’étions pas certains de remporter ce bras de fer », explique Ahamadou Nimaga. « Nous avions déjà perdu et vu notre projet annulé, le 12 juin 2007, par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise au motif de la loi sur la séparation de l’Église et de l’État. Du coup, nous avons été obligés d’arrêter les travaux, alors même que nous venions de poser la première pierre », se désole-t-il.
 
« Pourtant, la première délibération en conseil municipal avait été votée le 25 septembre 2003 à l’unanimité, moins la représentante du MNR », rappelle Mohamed Abdoulbaki, vice-président de la FCAMM. « Bizarrement, le même jour, un bail similaire pour la construction d’une synagogue avait été approuvé, et il n’a jamais été contesté par le MNR », fait-il observer. « À chaque fois, seuls les lieux de culte musulman sont visés par ces attaques, ces tentatives de déstabilisation. Pourtant, d’autres associations cultuelles d’autres confessions bénéficient de baux emphytéotiques sans déclencher de polémique. On veut nous cantonner dans les caves », s’indigne-t-il. 

Autre difficulté : la collecte. Lancée par la FCAMM, elle a permis de ne récolter que 400 000 € à ce jour. « Il en faudrait au moins le double pour démarrer les travaux. On est encore trop loin des 2,350 millions d’euros nécessaires au projet ! », explique Mohamed Abdoulbaki. Le vice-président espère, malgré tout, voir le chantier démarrer dans les semaines à venir. « Une Grande Mosquée doit impérativement voir le jour ! Les salles de prière débordent. Nous avons, nous aussi, l’envie de prier dans des lieux dignes. Il faut sortir de l’islam des caves », s’impatiente- t-il.

La nouvelle sénatrice-maire Verte de Montreuil, Dominique Voynet, a décidé d’accompagner le mieux possible ce projet, qu’elle juge cependant pharaonique : « Je constate que les associations ont beaucoup de mal à collecter l’argent », a-t-elle déclaré au journal Le Parisien en janvier 2009. Une sortie dans la presse qui étonne quelque peu Mohamed Abdoulbaki, qui avoue attendre de rencontrer l’élue : « Nous avons mis du temps à nouer des rapports avec l’ancien maire qui n’avait pas forcément les bons interlocuteurs, on espère que ce ne sera pas le cas avec elle. »
 
* Bail de très longue durée en échange d’un loyer modique et de la mise en valeur du bien.

21e arrondissement de Paris

Mutations. « 21e arrondissement de Paris », c’est ainsi que le chanteur Alain Chamfort définit sa ville d’adoption. Montreuil, en effet, est située dans la  banlieue est de la capitale, au sud du département de la Seine-Saint-Denis, à la limite des départements de Paris et du Val-de-Marne. Desservie par plusieurs lignes de métro, la ville attire les jeunes couples « bobo », chassés par les loyers exorbitants de la capitale. Ces artistes, intellectuels et jeunes cadres bouleversent le visage de la commune ouvrière, communiste pendant quarante ans, et qui a viré « écolo » aux municipales de 2008. En vingt ans, Montreuil a perdu un tiers de ses ouvriers et, dans le même temps, le nombre de contribuables soumis à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) a augmenté de près de 60 %. Sur les anciennes friches industrielles, les sociétés se multiplient : Air France, BNP Paribas, Nouvelles Frontières... 

© Lahcène Abib
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Montreuil-sous-Mali !

Sur la présence des Maliens à Montreuil, les avis divergent : ils seraient 2 000 selon l’INSEE ; 6 000, selon la ville ; et 10 000 selon Niakaté, président de l’Association des Maliens de Montreuil.

Immigration. Montreuil, la « deuxième Bamako » ? « Non ! », s’insurge Jean-Pierre Brard (apparenté PCF), qui connaît bien la question pour avoir été le maire de la ville pendant 24 ans et surtout le principal artisan du rapprochement entre les deux pays. « Montreuil n’est pas la deuxième ville malienne après la capitale du Mali, c’est un vieux fantasme. En revanche, je pense qu’elle est la première de France, peut-être même avant Paris ! Nous avons toujours eu une tradition d’accueil de cette communauté. », renchérit-il. 

Ce n’est donc pas un hasard si, cette année, la ville fête ses 24 ans de jumelage avec le cercle  (équivalent de notre département) de Yélimané, cette partie de l’ouest du Mali, dans la région de Kayes, d’où est originaire la majorité des Maliens montreuillois. La plupart de ceux qui sont arrivés dans les années 1960 sont de l’ethnie soninké. Grâce au jumelage avec Yélimané 5 micro-barrages ont été construits et 14 puits ont été creusés ou réhabilités, ce qui a relancé l’activité agricole.

Dans un des foyers de travailleurs de la ville, les Maliens de Montreuil le savent bien, ils trouveront toujours une oreille attentive et le réconfort d’être ensemble. Le plus connu est le foyer Bara. C’est là un véritable village malien reconstitué, avec ses vendeurs en tout genre qui s’affairent dans la cour. Cette ancienne usine de pianos, reconvertie en foyer en 1968, était prévue à l’origine pour 400 résidents, elle en accueille aujourd’hui le double. Même situation au foyer Branly, où, malgré la suroccupation, « tout se passe bien »,  affirme le doyen Souleyman Diarra. Sur les neuf foyers de la ville, sept sont « maliens ».  

Repères
• 2004 : naissance de la FCAMM.
• 2005 : concours d’architectes.
• Mai 2006 : désignation du lauréat.
• Décembre 2006 : obtention du permis de construire.
• 30 décembre 2006 : pose de la première pierre.
• Superficie totale du terrain : 2 150 m2, mosquée sur deux niveaux ;
• Capacité d’accueil : 800 fidèles.
• Coût du projet : 2 350 319 € TTC ; 400 000 € récoltés (avril 2009).
• Durée prévisionnelle des travaux : 10 mois.

© Lahcène Abib
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Portrait

« Je suis le plus ancien prêcheur de Montreuil », s’enorgueillit Ahamadou Nimaga, 61 ans, aujourd’hui retraité. Depuis vingt-huit ans, cet imam tente de délivrer la bonne parole. Son cheval de bataille : prévenir la délinquance. « J’aime le contact des gens, j’aime partager avec les jeunes mon savoir, les guider dans leur recherche spirituelle », explique ce père de dix enfants, qui avoue être fier de leur réussite.  Arrivé du Mali en 1961, après des études de théologie, il poursuit sa formation à l’université de Paris-VIII. Il est parallèlement peintre en bâtiment : « Il fallait bien nourrir la famille », explique-t-il avec un grand sourire. Infatigable, Ahamadou Nimaga multiplie les casquettes : président de la Fédération cultuelle des associations musulmanes de Montreuil ; membre du CRCM, chargé de mission auprès du président du CRCM de la Région Paris-Centre.


Reportage de Nadia Hathroubi-Safsaf le Lundi 1 Juin 2009


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