À 30 ans, vous sortez votre quatrième album, est-ce l’album de la maturité ?
Médine : Je n’aime pas trop les expressions toutes faites. C’est l’album d’un rappeur qui a une vie de famille maintenant. Je n’ai jamais eu une vie subversive avec des rebondissements. J’ai toujours eu une vie paisible. Mon histoire s’est construite en même temps que ma carrière. Je préfère parler d’album musicalement plus abouti, dans son époque
Souhaitiez-vous être un rappeur engagé dès vos débuts ?
C’est l’image que j’aimerais garder. J’ai une vie d’homme engagé. Dans la lutte à la fois contre l’islamophobie et contre les discriminations. Je suis aussi président d’un club sportif situé dans un quartier populaire du Havre. Je suis sur plusieurs fronts dans ma vie d’homme et cela se ressent dans mon art, car le rappeur a la prétention d’être le plus sincère, celui qui ne crée pas de personnage, qui est en phase avec les gens. J’essaie d’être honnête. Mais ce n’était pas mon ambition de départ : je voulais faire du rap comme les grands rappeurs que je voyais à la télé : NTM, IAM, Idéal J, Arsenic. C’était par amour de cette musique. Ensuite, il y a l’amour de la langue française qui est entré en ligne de compte. Puis on se rend compte que l’art n’a d’intérêt que s’il est mis au service d’un engagement ou d’un message. C’est dans ce sens-là que je conçois aujourd’hui ma pratique.
Vous avez sorti, en 2012, le livre Don’t Panik avec Pascal Boniface…
Cela reste de l’écriture. C’est un autre format, mais c’est le même principe. Écrire un morceau, écrire un chapitre, c’est sensiblement pareil. Je le vois comme un autre format qui va permettre à mon message d’aller ailleurs, de ne pas rester dans les carcans du rap français.
Avez-vous l’intention de renouveler l’expérience ?
Bien sûr. C’est déjà en cours avec l’album Protest Song, j’ai fait quelques recherches, eu quelques discussions avec des amis qui ont aussi fait des recherches sur le sujet. On a réussi à compiler un bouquin comprenant 15 chapitres sur l’histoire du Protest Song, de la chanson contestataire depuis les chants d’esclaves dans le sud des États-Unis jusqu’au rap français d’aujourd’hui.
Vous êtes l’un des rares artistes à revendiquer votre identité musulmane. Pourquoi est-ce important ?
Justement parce qu’il n’y en pas beaucoup d’autres qui s’affirment et se revendiquent comme étant des personnes qui sont de la communauté musulmane. Sans jouer le rôle de la victimisation, c’est parce qu’il y a si peu de personnes que je prends très au sérieux ce sujet quand je le traite dans mes albums. Je me dis : « Si, moi, je déserte le terrain, qui va le faire ? » Et je sais que revendiquer son appartenance à la communauté musulmane peut être disqualifiant. On peut dire : « Médine, c’est un musulman qui ne parle qu’aux musulmans, donc commercialement cela ne m’inté- resse pas, je n’irai pas acheter son album. » Médiatiquement aussi cela peut fermer certaines portes. Je l’ai déjà ressenti en radio, dans la presse et des salles de concert. On a l’impression qu’affirmer son appartenance à la communauté musulmane est un facteur d’exclusion. Je le vis déjà socialement ; alors artistiquement je le comprends mais j’essaie justement de passer par là où les gens ne m’attendent pas. En effet, je ne parle pas que de sujets qui concernent les musulmans. Cependant, la lutte contre l’islamophobie doit concerner tout le monde.
Vous étiez dernièrement à la Rencontre annuelle des musulmans de France et à celle du Havre. Que vous apportent ces rencontres ?
Cela me rend fier et me galvanise sur pas mal de choses. Ce sont des endroits qui sont devenus des forums d’expressions pour que la communauté musulmane se retrouve, discute des sujets de préoccupation. C’est une source à laquelle je vais m’abreuver. Je vais comprendre les préoccupations de ma communauté, voir comment on y réfléchit, quels sont les process mis en place pour aboutir à un plan d’action pour essayer de résoudre certains problèmes : des problèmes d’identité, des problèmes de logistique... Cela me rend fier aussi de rencontrer la communauté musulmane dans sa grande diversité : je vois des gens d’origines différentes, de compétences différentes, d’origines sociales différentes… Finalement, la communauté musulmane n’est pas, comme on tente de la montrer, un organe marginal de la société française. En réalité, les musulmans sont bien dans leurs baskets. Ils sont impliqués dans tous les cœurs d’action, socialement, professionnellement.
Face à la montée de l’islamophobie, comment réagissez-vous ?
J’ai concocté une petite stratégie, que j’appelle de la transgression. Je pense qu’il y a des gens qui sont mieux placés que moi pour réagir, organiser et mobiliser les gens. Moi, je suis un artiste et je peux utiliser un autre instrument pour protester contre les actes islamophobes. Protester, ce n’est pas forcément réagir au lendemain des événements. J’essaie de faire deux pas en arrière et d’observer la situation, de voir comment la communauté le prend, comment cela est traité médiatiquement et là j’interviens. On peut penser que je ne réagis pas, mais c’est une réaction moins frontale qui porte ses fruits sur la longueur. Je ne veux pas être dans une réaction impulsive. C’est une straté- gie qui vise plutôt à couper l’eau directement au robinet plutôt que d’essayer d’endiguer l’eau à certains endroits.
Dans Protest Song, vous célébrez l’Afrique. Y avezvous des projets ?
J’ai fait un premier voyage au Sénégal, il y a une dizaine d’années. Je trouve aujourd’hui le Sénégal transformé quand j’y suis retourné dix ans plus tard. J’observe une espèce de force vive, une jeunesse qui est encore plus dynamique que la jeunesse française et qui est de plus en plus instruite. On a un rôle à jouer en tant qu’Africain de la diaspora, que ce soit en Afrique subsaharienne ou au Maghreb. Il faut rappeler que l’Afrique, ce n’est pas que des petits Africains noirs qui tendent la main pour réclamer. C’est une presse qui se libère de plus en plus. Ce sont des intellectuels, des économistes : c’est ça l’Afrique. Des infrastructures qui prennent naissance. Un peuple qui parvient à se révolter. Il y a des tentatives démocratiques qui sont en train de se réaliser, en Tunisie par exemple. Toutes ces initiatives qui voient le jour sur le continent africain : je me dis qu’on a un rôle à jouer.
Le Havre : votre ville natale est également importante à vos yeux...
C’est bien beau d’avoir des projets pour nos continents d’origine, mais je suis né au Havre, j’ai toute ma famille au Havre, je n’ai pas envie de déplacer ma proactivité, de la mettre au service des autres alors que les gens qui me sont le plus proches en ont le plus besoin. J’ai des projets pour Le Havre. Je me dis pourquoi ne pas rattacher culturellement la ville du Havre à Paris en créant une espèce d’académie, une école ? En tout cas, j’y réfléchis.
Il y a six duos dans votre dernier album, c’est ça l’esprit collégial du rap ?
C’est un esprit que j’ai dé- veloppé récemment. Dans mes albums précédents, il n’y avait que deux ou trois morceaux que je partageais avec un invité. Là, j’ai décidé d’en faire davantage, car c’est au contact des autres que je m’enrichis
BIO EXPRESS
Né au Havre le 24 février 1983, Médine Zaouiche, d’origine algérienne, grandit entouré d’un frère et d’une sœur. Dès les années 1990, il fait partie d’un collectif de rappeurs, La Boussole. Le groupe créé son propre label Din Records en 2002. Deux ans plus tard, Médine sort son premier album solo intitulé 11 septembre, récit du 11e jour, dans lequel il revient sur les conséquences des attentats du World Trade Center. En 2005, il sort son deuxième album, Jihad, le plus grand combat est contre soi-même. La même année avec le titre « Boulevard Vincent Auriol », il rend hommage aux victimes de l’incendie d’un immeuble parisien. En 2008, il signe l’album Arabian Panther, qui devient alors son plus gros succès dans les bacs. En 2012, l’artiste publie son premier livre Don’t Panik, coécrit avec le géopolitologue Pascal Boniface. En 2013, il sort l’album Protest Song et peaufine actuellement un ouvrage sur le thème des chansons protestataires. Sa tournée 2013 commence à l’Olympia, à Paris, le 13 septembre, et se poursuit en régions jusqu’en novembre. Côté familial, marié à une Laotienne, Médine est l’heureux papa de deux enfants, Massoud et Mekka.
Né au Havre le 24 février 1983, Médine Zaouiche, d’origine algérienne, grandit entouré d’un frère et d’une sœur. Dès les années 1990, il fait partie d’un collectif de rappeurs, La Boussole. Le groupe créé son propre label Din Records en 2002. Deux ans plus tard, Médine sort son premier album solo intitulé 11 septembre, récit du 11e jour, dans lequel il revient sur les conséquences des attentats du World Trade Center. En 2005, il sort son deuxième album, Jihad, le plus grand combat est contre soi-même. La même année avec le titre « Boulevard Vincent Auriol », il rend hommage aux victimes de l’incendie d’un immeuble parisien. En 2008, il signe l’album Arabian Panther, qui devient alors son plus gros succès dans les bacs. En 2012, l’artiste publie son premier livre Don’t Panik, coécrit avec le géopolitologue Pascal Boniface. En 2013, il sort l’album Protest Song et peaufine actuellement un ouvrage sur le thème des chansons protestataires. Sa tournée 2013 commence à l’Olympia, à Paris, le 13 septembre, et se poursuit en régions jusqu’en novembre. Côté familial, marié à une Laotienne, Médine est l’heureux papa de deux enfants, Massoud et Mekka.