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Salamnews

L'islam décomplexé



Mohammed Colin, 34 ans, fondateur de Saphirnews et " Salamnews ". Converti à 12 ans, il plaide, sur ses sites Internet, pour une religion " souple "


L'islam décomplexé
Lorsque, dans les années 1980, ils débarquaient dans la campagne normande pour rendre visite à leurs grands-parents paternels, les quatre enfants Colin étaient les " seuls basanés " du village. Et " cela ne posait pas de problème " au petit Martin, l'aîné de la fratrie.
Passé la surprise d'une mixité encore inhabituelle à l'orée des années 1970, sa mère, fille de harki, avait été acceptée par sa belle-famille d'origine rurale. Côté algérien, en revanche, les réticences avaient provoqué un vide d'une dizaine d'années dans la biographie familiale. Les retrouvailles avec la branche maternelle, alors qu'il a 10 ans, autant que l'enfance passée à Dreux au contact de camarades musulmans, vont pousser l'aîné des petits Colin à renouer avec une partie de sa culture jusqu'alors occultée : l'islam.
A partir de là, le chemin sera rapide. Et radical. A 12 ans, Martin se convertit, sans vraiment l'avouer à ses parents. " J'ai eu l'impression de faire un vrai choix ", insiste le jeune homme. Puis, au grand dam de sa mère, qui " avait une conception naturelle de l'assimilation et nous avait donné des prénoms gaulois ", Martin se choisit un prénom musulman. Mohammed Colin est né.
A 34 ans, crâne dégarni et large sourire, le jeune entrepreneur" vit très bien " la juxtaposition de ses deux cultures sur sa carte de visite. Même s'il ne pense plus qu'il faille changer d'identité pour devenir musulman. " J'aime la mixité ", défend Mohammed, dont le langage, parfois heurté, marie le " parler des quartiers " et le jargon acquis durant sa formation en anthropologie urbaine.
Sans qu'il l'ait vraiment programmé, ce " cheminement religieux ", son engagement associatif dans une ville marquée par la montée du Front national, puis le " choc du 11 septembre 2001 " vont amener le jeune homme à faire de ces questions identitaires, culturelles et religieuses son métier. En 2002, il crée Saphirnews, un site d'informations sur le fait musulman. " Pas pour donner la bonne parole religieuse, mais pour faire changer le regard sur l'islam. "
Ce combat, il a dû le mener au sein même de sa famille. " Lorsque j'ai commencé à cheminer dans l'islam, ma mère a été en panique totale. Elle faisait l'amalgame avec les attentats en Algérie, les Maghrébins qui dealaient dans le quartier et ceux qui s'abandonnaient à la religion après un échec scolaire. Mes fréquentations étaient triées sur le volet ! "
" Je n'ai jamais eu l'impression d'une rupture dans ma foi. Mon cheminement spirituel était passé par le catholicisme. On fêtait Noël, mais on ne faisait pas le ramadan. J'allais à la messe avec ma grand-mère paternelle. Mais quand j'ai découvert l'islam, j'ai choisi. Pour la convivialité, le côté "carré" et logique de la foi musulmane, le fait aussi qu'on y retrouve tous les prophètes, Jésus compris ! "
A l'adolescence, Mohammed suit le parcours classique des convertis et des jeunes en quête de réislamisation. Il se plonge dans une littérature glanée sur les marchés, dans laquelle domine une conception codifiée de l'islam. " Cette vision convient bien aux adolescents en quête de normes ", reconnaît Mohammed. Etudiant en lettres puis en information et communication à Paris-VIII, il croise la route des Jeunes musulmans de France, alors très présents sur les campus et dans les banlieues. Proches des Frères musulmans, ces militants offrent un outil de formation religieuse et un encadrement qui convient au jeune Mohammed. " Leur vision revendicative et politique de l'islam correspondait à mes envies d'agir dans la société. Pour moi, les JMF, c'était la promotion d'un islam de France. "
Pour ce jeune Français, qui parle " très mal " arabe, " l'islam de France " est une réalité assez éloignée de la " chose " institutionnelle qu'ont voulu en faire les pouvoirs publics depuis une vingtaine d'années. Au risque de verser dans un certain angélisme, Mohammed Colin défend un islam qui s'inscrit dans une laïcité " souple ". Il s'est opposé aux lois d'interdiction du port du foulard et du voile intégral en 2004 et 2010, mais promeut dès qu'il le peut " la grande liberté " qu'offre la laïcité à la française pour la pratique de l'islam.
Ses positions l'ont peu à peu éloigné de ses mentors. " Certains sont restés enfermés dans leur islamité, en rupture avec la société française, constate-t-il. D'autres demeurent affiliés à des organisations liées à leur pays d'origine, aux mosquées, aux différents courants de l'islam. "
Lui, revendique une phase de " déconstruction spirituelle " qui l'a rapproché du soufisme, un courant mystique de l'islam, considéré par certains de ces anciens camarades comme " une hérésie ". D'où son " rêve " de créer " un espace en dehors des logiques d'appareil, un lieu où pourraient s'exprimer toutes les tendances de l'islam, des salafistes aux musulmans non religieux, pour casser l'image d'une "communauté musulmane" monolithique ".
Son pari est à moitié réussi. " Saphirnews est marqué par une vision "Islam is Beautiful" ; les informations qu'il donne sont assez peu critiques, on sent qu'il cherche plutôt à arrondir les angles ", souligne Bernard Godard, l'un des meilleurs spécialistes de l'islam en France, auteur avec Sylvie Taussig de l'ouvrage Les Musulmans de France (éd. Robert Laffont, 2007).
Prudence politique, approche plus culturelle que religieuse des sujets liés à l'islam, refus de la victimisation des musulmans ou de la mise en exergue de " l'islamophobie ", en vogue sur d'autres sites, Saphirnews et Salamnews proposent " une plongée dans le quotidien des musulmans, estime Franck Frégosi, chercheur spécialiste de l'islam. On y trouve une vision de l'islamdécomplexé moins politique et radicale qu'Oumma.com ", référence au premier site de la communauté musulmane, plus militant.
" On s'est toujours présentés comme des laïcs, mais certains dans le milieu musulman nous ont pris pour un média confessionnel, nous considérant comme leur outil de communication. Toute critique y est donc mal perçue ", constate Mohammed, pour qui Saphirnews reste quand même " un instrument qui pose la question de l'autocritique dans l'islam ".
Dans un monde musulman soumis à d'extrêmes tensions, le site donne pourtant parfois le sentiment de ménager la chèvre et le chou. " Depuis deux ans, on a plus de difficultés à promouvoir le pluralisme musulman ", reconnaît Mohammed. " Pour rebondir, il lui faudra sans doute être plus pointu, plus critique, plus engagé ", pronostique Bernard Godard.
Mohammed Colin s'émeut aujourd'hui de l'émergence d'une génération de musulmans forgée par " l'islam 2.0 ". " Ils se forment sur Internet, cherchent leur avis religieux auprès de savants "en ligne" plutôt salafisants - qui défendent une approche rigoriste de l'islam - . Nombre d'entre eux n'ont ni attaches culturelles ni histoire associative ou militante. Du coup, ils n'échappent pas à un certain absolutisme et se montrent sensibles au discours populiste musulman. "
" Malmenés " par les discours politiques de ces dernières années, certains musulmans sont, selon lui, " des écorchés vifs "qui défendent " une vision ghettoïsée de la société française ". Une évolution de la " communauté " qui chagrine cet adepte d'un islam " souple ", puisé dans le soufisme.

 

" Salamnews ", mensuel des " cultures musulmanes "

DEUX PIÈCES contiguës aménagées dans une pépinière d'entreprises de Seine-Saint-Denis, quelques ordinateurs, une poignée de (jeunes) journalistes : dans son costume clair, sans cravate, Mohammed Colin présente fièrement les locaux où se fabrique, sans beaucoup de moyens, le site d'information communautaire Saphirnews et le mensuel gratuit Salamnews,qu'il a fondés en 2002 et 2008.
Avec son associé et ami Mourad Latrech, Mohammed Colin avait une ambition qu'il juge aujourd'hui " folle et surdimensionnée ". " On voulait donner un regard musulman sur l'actualité généraliste. " Faute de troupes et d'argent, ils se sont recentrés sur leur " valeur ajoutée " : la connaissance du fait musulman. Saphirnews était né.
A l'époque, hormis les sites de prédication religieuse, seul Oumma.com, né en 1999, proposait une information liée à la communauté musulmane. En traitant de l'actualité internationale comme des débats théologiques et spirituels, Oumma.com a trouvé un public engagé et affiche 700 000 visiteurs mensuels. Aujourd'hui, le monde des sites communautaires et militants s'est élargi, abordant les produits halal, l'islamophobie...
Saphirnews, 500 000 visites par mois, selon son fondateur, " a du mal à monétiser son audience ", d'où le passage au printpour attirer publicités et investisseurs. Depuis 2008, Salamnewsle " premier mensuel gratuit des cultures musulmanes " est donc distribué dans les commerces, les universités, sur les marchés.
" Au début, on nous a dit, "avec votre orientation musulmane, toutes les portes vont se fermer"Certains pensaient qu'on faisait de l'information religieuse et on nous a même demandé si nous avions une autorisation du bureau des cultes ! Finalement, des industriels et des banques nous ont suivis. " La pépinière d'entreprises les forme désormais à la gestion et accompagne leurs projets de développement.
A terme, Mohammed Colin envisage le passage de Salamnewsen " quinzomadaire ", ainsi qu'une édition en Belgique. Cette année, pour le ramadan, Saphirnews devait proposer des services en lien avec la fête religieuse ainsi que des alertes informatives. Depuis peu, avec un chiffre d'affaires annuel de 500 000 euros, les deux amis, qui auraient pu être ingénieurs ou chargés de communication, se versent un salaire.


Stéphanie Le Bars, Le Monde le Mardi 9 Août 2011


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Pierre Boulle, auteur de La planète des singes, n’a pas eu le loisir de pianoter sur les smartphones mais sa vision d'une humanité qui régresse au stade de l’animal illustre bien les inquiétudes que génèrent aujourd’hui les technologies. Avec ChatGPT, c’est qu’à force de tout déléguer, en particulier notre réflexion, on peut craindre de s’affaiblir cérébralement. Bien sûr, certains diront que c’est une vieille rengaine dans l’histoire des technologies de l’information et de la communication. Des débats similaires sur le passage des cultures orales aux cultures écrites animèrent les échanges des élites d’autrefois. Socrate attribuait la primauté au propos oral sur l’écrit par exemple. Se questionner ne signifie pas refouler les évolutions techniques. C’est au contraire aider à penser le cadre pour une bonne intégration des outils. Dans le cas des IA, la venue de ChatGPT offre une nouvelle perspective pour réfléchir collectivement sur ce qui fonde notre humanité.  Au moment où sont écrites ces lignes, Paris accueille les nations du monde pour trouver des solutions contre la pollution des matières plastiques. La conception d’un traité juridique est à l’ordre du jour. « Si nous n'agissons pas, il y aura en 2050 plus de plastique que de poissons dans les océans », alerte la ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna. Une calamité telle qu'elle fait émerger un septième continent en plein océan Pacifique que pourrait observer la Saoudienne Rayyanah Barnawi, première femme arabe à aller dans l’espace et à réaliser que cette matière « miracle »  issue des industries pétrolières de l’après-Seconde Guerre Mondiale est devenue, 70 ans après, un fléau planétaire. N’attendons pas ce temps pour faire cet horrible constat avec l’industrie du numérique. Vitalik Buterin, fondateur de la blockchain d'Ethereum, seconde cryptomonnaie après le Bitcoin, annonce vouloir réduire de 99 % sa production énergique. C’est un très bon signal.