
© Frédérique Berraja / Eskwad
Dans L’Italien, votre meilleur ami vous dit : « Ce qui te poursuit dans la vie, c’est pas la religion, c’est le mensonge. » Vous est-il arrivé de mentir ?
Kad Merad : Oui, cela m’est arrivé deux fois. Comme Dino d’ailleurs. La première fois, j’avais 18 ans, j’étais en vacances et avais rencontré une jeune fille. Et je n’ai pas osé lui dire que je m’appelais Kaddour. Je lui ai dit que je m’appelais François, que j’étais producteur, je me suis inventé tout un délire parce que je n’ai pas assumé.
Et ça a marché ?
K. M. : Je n’ai même pas réussi à l’embrasser une fois ! Et je crois que si je m’étais appelé Kaddour, elle m’aurait embrassé pareil ! Ce n’est pas une honte de son pays d’origine, c’est une peur. Parce que toutes les images qu’on nous renvoie dans les médias sont tellement pleines de préjugés et de clichés qu’on ne veut pas y être associé.
Et la deuxième fois ?
K. M. : C’était pour le boulot. Je voulais être acteur tous azimuts. Je suis métis : maman française, papa algérien. J’ai grandi en France et, tout d’un coup, mon prénom a été un handicap. Je craignais que l’on me donne des rôles bien précis de Maghrébins. D’ailleurs, mon premier rôle à la télévision s’appelait Ahmed Ben Mabrouk, un éducateur de MJC, dans Tribunal. J’ai flippé ! Non pas que j’eus honte de jouer ce rôle, mais je me suis dit : « Je veux bien jouer des Arabes, mais je voudrais bien jouer autre chose aussi ! »
Au final, vous ne changez pas de patronyme.
K. M. : J’avais trouvé François Kaddour, Kaddour devenant mon nom de famille. Puis je me suis dit : « Je ne vais pas revivre ce qu’a vécu mon père il y a cinquante ans ! » Mon père s’est fait appeler Rémi, il n’avait pas peur à l’époque, c’était juste pour s’intégrer, ne pas déranger. Pour ma part, c’était parce que j’avais peur des préjugés. Finalement, ce fut Kad.
Vos parents ne vous ont pas donné un deuxième prénom français ?
K. M. : Non, c’est curieux. Mon père d’origine algérienne a rencontré ma mère berrichonne… et ma mère a tenu à nous donner des prénoms algériens. Je trouve cette histoire tellement magnifique !
C’est une preuve d’amour aussi ?
K. M. : Grave ! Puis il y a eu toute cette jeunesse : quand je donnais mon prénom, les gens disaient : « Ah, oui ? » Parce que j’ai une bonne tête de français comme mon frère et mes soeurs, c’est ouf ! C’est pourquoi l’histoire de Dino n’est pas si éloignée de la mienne.
L’Italien est une comédie sociale qui interroge.
K. M. : On aimerait qu’à la fin de la projection les gens discutent et se disent : « Quand vous rencontrez quelqu’un qui s’appelle Bachir ou Brahim, ça vous fait quelque chose ? » C’est une éducation ! Les médias sont très responsables aussi. Je dis souvent : la plupart des gens qui ont des prénoms, des physiques d’origine étrangère mais qui sont bien français vivent simplement leur vie d’hommes et de femmes. C’est lourd, quand on démarre dans la vie, et qu’on nous montre des imams et des Arabes toujours vociférant, haineux. On ne montre jamais des gens cools ! Et 99 % des musulmans sont des personnes qui veulent simplement vivre. L’Italien est important pour moi, il me permet d’en parler, car ça fait longtemps que ça me saoule.
Pour jouer vos cinq prières, vous avez dû réviser vos gammes. Cela n’a pas été trop dur ?
K. M. : Si ! Quand je jouais les scènes de religion, je pensais à ma grand-mère que j’avais vu prier étant gamin : c’était émouvant de la voir se parler à elle-même. Dans ma famille, en Algérie, la plupart sont pratiquants. J’ai appris aussi des sourates, pour être le plus juste possible. Je n’avais jamais prié de ma vie. Je n’ai jamais été pratiquant. J’ai grandi en France, à la française.
Mais vous ne mangiez pas de porc ?
K. M. : Effectivement, mon père nous l’a inculqué. Mais depuis je me suis rattrapé !
C’est-à-dire ?
K. M. : J’en mange ! Comme beaucoup de Français. Mon père l’a interdit sans doute par respect à l’égard de sa famille, une espèce de lien avec ses origines. Mais cela s’arrêtait là. On avait le couscous, le dimanche, de temps en temps, avec la musique arabe dans la cuisine.
Chabert dans Les Choristes, Philippe Abrams dans les Ch'tis, vous jouez des rôles de « bons » Français. Une revanche sur la vie ?
K. M. : Je suis le parfait Français ! le Monsieur Tout-le-Monde ! J’ai quand même réussi à garder un peu de mon prénom et mon nom. Oui, je peux considérer cela comme une victoire.
Jusqu’à jouer le papa du Petit Nicolas, le bon père de famille…
K. M. : J’ai une bonne tête de beauf ! C’est ça que vous voulez dire ! Je peux aussi avoir une bonne tête de méchant, faites gaffe !... Au-delà du nom et des origines, je corresponds en fait à un choix de metteur en scène.
Parce que vous jouez bien, et c’est comme ça qu’on vous aime.
K. M. : Il y en a plein qui aimeraient qu’on les aime dans la vie de tous les jours, qui sont avocats, médecins…, et qui jouent bien aussi dans leur vie. Comme Zinedine Zidane, il est Algérien. Jamel Debbouze, il est Marocain. Roschdy Zem… tous ces gens-là sont des sommités. Mais il faudrait que cette reconnaissance se fasse pour tout le monde.
Quelle impression cela vous fait-il d’être aujourd’hui l’acteur le plus « bankable » ?
K. M. : Le plus bancal ! D’être dans les dix acteurs français les plus demandés, franchement cela ne me fait rien. Ce qui me fait plaisir, c’est de recevoir des coups de fil de personnes qui veulent travailler avec moi. Je ne suis qu’un artiste qui traverse la vie.
Votre marionnette est entrée aussi aux Guignols de l’info. Une consécration ?
K. M. : C’était ça ou le musée Grévin ! Ils trouvent que je travaille trop, mais je peux gagner ma vie ! Les vacances, ce sera à l’âge de la retraite… Quoique les comédiens ne s’arrêtent jamais. J’aimerais bien finir sur scène !
Quel est votre plus intime confident : votre compère Olivier Baroux ? votre épouse Emmanuelle Cosso ? ou Dieu ?
K. M. : Je crois que c’est moi. Je suis le seul qui connaisse vraiment ma vie et ce que j’ai dans la tête.
Que pensez-vous de la place accordée à l’islam ?
K. M. : À Marseille, je trouve que l’islam a une vraie place. On le ressent parce que l’on voit les bateaux traverser la Méditerranée. Il y a un lien très fort avec l’islam : juste la mer. Comme un vieux cordon ombilical entre le Maghreb et Marseille. En France, on n’est pas le plus à plaindre : l’islam y est respecté, le culte est pratiqué le plus normalement possible, les mosquées existent, d’autres vont se construire. Bien sûr, il y en a toujours qui seront choqués par la religion, mais par toutes les religions d’ailleurs.
Jeûnerez-vous au prochain mois de ramadan ?
K. M. : Non, je ne suis pas du tout religieux ! J’entre dans une église, dans une mosquée, je me sens bien. Je respecte ceux qui ont la foi, ceux qui prient. Mais moi, non ! C’est vrai que, dans L’Italien quand je jouais, je priais, j’étais bien, mais je pensais tout de suite à ma famille en Algérie, des images me revenaient. Mais je ne pense pas que je me convertirai un jour. Je ne suis pas assez sérieux pour ça !
Bio Express
Né le 27 mars 1964, à Sidi Bel Abbes, en Algérie, Kad Merad a grandi avec ses deux soeurs et son frère, son père d’origine algérienne et sa mère d’origine berrichonne, à Ris-Orangis (Essonne), « une banlieue terrible » mais qui fut, pour lui, « la plus belle banlieue du monde ». Dès 18-20 ans, il anime une émission de radio sous le nom de Mister Kad. C’est en 1991 qu’il entre à Ouï FM et rencontre Olivier Baroux, devenu son acolyte de toujours. Le duo se fait connaître pour ses sketches à se tordre de rire, depuis leur premier film commun Mais qui a tué Pamela Rose ? (2003) à leur plus récent, L’Italien, sorti en salles le 14 juillet. Après le César du meilleur second rôle masculin, décerné en 2007, c’est Bienvenue chez les Ch’tis, de Dany Boon, qui le consacre parmi les plus grands acteurs français. Dès la rentrée de septembre prochain, Kad Merad jouera au Théâtre de Paris, dans Rendez-vous, une comédie musicale à l’américaine. « Je chante et je danse : un vrai défi ! » Il vient d’achever la réalisation de son premier film, Monsieur Papa, qui sortira en mars 2011.