
Dans Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, vous jouez tous les rôles : Momo, Monsieur Ibrahim… Une vraie performance théâtrale…
Francis Lalanne : J’ai compté : je joue 13 personnages au total si j’inclue le vendeur de voiture, l’assistante sociale… C’est la grande idée du metteur en scène Annie Bourgeois. Elle m’a demandé d’incarner une distribution de manière alternative. Un travail absolument passionnant mais un travail de fourmi extrêmement précis. Tout au long du spectacle, la scène est à la vue du public. Le but est de ne pas se répéter pour que le voyage se poursuive.
C’est une pièce de théâtre qui offre un beau message de tolérance. Pourquoi l’avez-vous choisie ?
F. L. : Avant tout parce qu’il s’agit d’un texte d’Éric-Emmanuel Schmitt, auteur incontournable pour moi. C’est un privilège absolu et un bonheur d’avoir ses mots à dire. Un plaisir de la bouche, un plaisir de l’esprit, un plaisir du coeur... Aussi bien pour les spectateurs que pour les acteurs. Son texte me permet aussi de défendre mes valeurs. Je suis fier et heureux de transmettre l’image de ce qu’est réellement l’islam. Une religion d’amour, de tolérance et de respect du prochain… Rien à voir avec les groupuscules terroristes, contrairement à ce que des apprentis sorciers voudraient nous faire croire pour diviser la société française.
Ces amalgames vous révoltent ?
F. L. : La façon dont on ose mêler le mot « islam » au terrorisme est extrêmement grave. On crée de la confusion dans l’imaginaire collectif entre la réalité de la religion islamique et l’usage que certains veulent en faire pour diviser la communauté française. Il est inacceptable que le président sortant se permette de dire qu’untel était d’« apparence musulmane » par exemple. Pour moi, c’est tenir un discours raciste ! Le monde politique est ravagé par ces amalgames et ce langage discriminatoire.
L’islam et les musulmans sont en en effet perçus comme des éléments exogènes…
F. L. : Pourtant, l’islam est bien une religion française ! Le principe élémentaire qui concerne toutes les religions en France, c’est le principe de séparation des Églises et de l’État, qui vaut pour toutes les religions. Mais la communauté musulmane en France ne bénéficie pas encore des conditions normales qui pourraient lui permettre de pouvoir mener son culte dignement. Je réclame pour mes frères musulmans – n’étant pas musulman je me sens très fier de pouvoir le dire – les mêmes droits que pour les autres religions françaises.
Personnellement, vous connaissez bien l’islam ? Vous avez beaucoup d’amis musulmans ?
F. L. : Oh, oui ! J’ai même gagné un pari contre mon ami Tariq Ramadan ! Il avait contesté le numéro d’une sourate que j’avais donné, nous avons vérifié ensemble et j’avais raison ! D’ailleurs, il me doit toujours un repas et ne s’est pas encore acquitté de sa dette [sourires]… Évidemment, j’ai lu le Coran, mais ma prétention n’est pas de dire ce qui est écrit dans le Coran mais de préciser ce qui n’y est pas. Et il n’est pas écrit qu’on a le droit de tuer, encore moins des enfants ! Ceux qui utilisent la religion pour le mal en répondront devant Dieu.
D’où vient cette ouverture d’esprit ? Est-ce du fait que vous avez des origines diverses, notamment par le biais de vos grands-parents maternels libanais ?
F. L. : La vraie question pour moi n’est pas d’où vient cette passion d’être Français et de penser l’harmonie des religions, mais comment est-on parvenu à vivre dans une société aussi divisée ? Comment arrive-t-on à désigner et à montrer du doigt des gens qui font partie de notre nation comme des étrangers ? Prétendument parce que leur religion ne serait pas celle de la France d’il y a deux siècles ! La France réelle est composée de gens de confessions différentes qui vivent en harmonie. Et il est urgent maintenant de véhiculer ce message, à travers les arts, les langages politiques et les institutions.
Engagé politiquement, vous avez notamment été le candidat du Mouvement écologiste indépendant (MEI) aux législatives de 2007. Comment avez-vous vécu cette expérience ?
F. L. : Mon expérience politique fut un échec. Je n’ai pas réussi à faire triompher mes idées. Je condamne le principe partisan gauche-droite qui consiste à défendre l’intérêt de son clan et pas celui de l’ensemble du peuple. Mais j’ai remporté des victoires : la liste indépendante que j’ai conduite au niveau national a fait 4 %. Si les militants d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) avaient voulu s’allier avec des indépendants comme nous, plutôt que de préparer ses petites magouilles avec le Parti socialiste, ils auraient devancé le PS !
On a peu parlé d’écologie lors de cette présidentielle 2012. Êtes-vous déçu de la campagne d’Éva Joly ?
F. L. : Il faut bien comprendre que la candidature d’Éva Joly est pour EELV une non-candidature symbolique. Un acte de non-concurrence envers le PS qui s’est engagé à renvoyer l’ascenseur pour les législatives. Cela permettra d’avoir des députés EELV élus sous le contrôle du Parti socialiste. Ce ne sont que des magouilles politiciennes. Rien à voir avec l’engagement et le débat citoyen tels que je le conçois...
Comment continuez-vous à vous engager politiquement ?
F. L. : En tant qu’artiste, tous les soirs au Théâtre Rive-Gauche, je considère que je défends les vraies valeurs de la République française. Puis, en tant qu’intellectuel, j’écris des livres comme Révoltons-nous. Le but est de lancer des discussions, des débats au sein des mouvements citoyens qui s’organisent pour créer un grand rassemblement alternatif au mouvement politicien. Il faut poursuivre les revendications avec persévérance et se mobiliser. Enfin, je publie
bientôt aux éditions In Libro Veritas mon nouvel ouvrage La Révolte par le vote.
En 1997, vous êtes devenu gérant de l’entreprise de figurines Starlux que vous avez rachetée à Périgueux… Un rêve d’enfant ?
F. L. : Oui… Mais surtout un moyen de compléter la cigale que j’étais en faisant un stage chez les fourmis ! Une façon de m’immerger dans le monde ouvrier où j’ai beaucoup appris. C’est une expérience coopérative. Une collaboration entre l’intendance de l’entreprise et la production. Cela se poursuit, sauf que l’usine est non plus dans le Périgord, mais en Normandie.
Finalement vous avez mille vies : chanteur, comédien, écrivain, militant politique, chef d’entreprise… Qu’est-ce qui vous fait courir ainsi ? Quel est votre moteur ?
F. L. : Cela va peut peut-être vous paraître un peu simpliste, mais mon moteur reste l’amour ! Ce sentiment humain extraordinaire qui me guide vers mon prochain dans l’espoir de lui être utile. C’est cet espoir qui me pousse à être le plus proche de l’expression de l’amour humain.
Bio Express
Francis Lalanne est né en 1958 à Bayonne. Il grandit dans une famille cosmopolite aux origines libanaises, béarnaises et basques. Il passe son enfance en Uruguay puis à Marseille, où il suit des cours d’art dramatique au conservatoire. Devenu auteur, compositeur et interprète, il signe en 1979 son premier album à succès Rentre chez toi. En 1986, il compose la chanson du festival des Francofolies de La Rochelle, dont il offre les droits d’auteur à Amnesty International.
Sa carrière musicale de plus de 30 ans est rythmée par de nombreux albums, dont des succès comme Tendresses (1992). Côté littérature, il écrit des recueils de poésie (D’amour et de mots, 1997), des manifestes écologistes (Mère Patrie, Planète Mère, 2008) ou des pamphlets politiques (Révoltons-nous,
2011).
Artiste pluridisciplinaire aux multiples facettes, il s’intéresse aussi au cinéma et coproduit le film Le Passage, avec Alain Delon. En tant qu’acteur, il joue au théâtre Dom Juan, de Molière, par Jean-Luc Moreau, ou dans L’Affrontement, avec Jean Piat. Artiste inclassable, il se mobilise aussi politiquement. Il est candidat aux législatives de 2007 dans le Bas-Rhin et aux municipales de 2008 dans une liste à Mautauban : une expérience peu satisfaisante. Dès lors,
Artiste pluridisciplinaire aux multiples facettes, il s’intéresse aussi au cinéma et coproduit le film Le Passage, avec Alain Delon. En tant qu’acteur, il joue au théâtre Dom Juan, de Molière, par Jean-Luc Moreau, ou dans L’Affrontement, avec Jean Piat. Artiste inclassable, il se mobilise aussi politiquement. Il est candidat aux législatives de 2007 dans le Bas-Rhin et aux municipales de 2008 dans une liste à Mautauban : une expérience peu satisfaisante. Dès lors,
son engagement artistique agit de plus belle comme vecteur de son engagement citoyen. Ainsi, dans Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, il prône la tolérance et l’harmonie possibles entre juifs et musulmans.