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Drancy : Une mosquée ouverte sur les autres religions



Dernier né dans le département de Seine-Saint-Denis, le Centre culturel des musulmans de Drancy est reconnu officiellement comme salle polyvalente, construite et louée par la mairie.


© Lahcène Abib
© Lahcène Abib
Au fond du parking du centre commercial Drancy Avenir, derrière l’hypermarché Carrefour se dresse fièrement une bâtisse en bois aux larges fenêtres. Il s’agit du Centre culturel musulman de Drancy, qui abrite également la mosquée Nour. Une mosquée qui porte bien son nom : l’endroit est lumineux, confortable. Mais, ici, pas de mosaïques de Fès ni de tapis de Kairouan, la décoration se veut basique et moderne. Les distributeurs de boissons disposés à l’entrée et la petite librairie le rappellent sans équivoque, nous sommes avant tout dans un centre culturel.

Depuis son inauguration, en février 2008, les fidèles affluent de tout le département, et plus particulièrement des villes limitrophes que sont Bondy, Bobigny et La Courneuve. Ce lieu de prière est attendu depuis de nombreuses années par la communauté musulmane de Drancy. Il a pu voir le jour en février 2008, grâce à l’obstination d’un homme, l’imam Hassan Chalghoumi. Depuis 2004, celui-ci multiplie les rendez-vous avec Jean-Christophe Lagarde, le député-maire de Drancy, pour lui expliquer, « la nécessité de sortir l’islam des caves ». En 2005, pour sensibiliser les Drancéens et surtout faire tomber les préjugés, l’imam organise à l’occasion du Mawlid (fête qui commémore la naissance du Prophète) un « couscous géant ». Ce sont 450 personnes qui feront le déplacement.

Pressentant que c’est ainsi qu’il peut rapprocher les musulmans des autres communautés, il demande aux fidèles de participer à la Fête des voisins organisée par la mairie. C’est un succès, l’opération séduction est en marche. Très logiquement, une Association culturelle des musulmans de Drancy (ACMD) se crée. La poignée d’adhérents sera  chargée d’accompagner la mise en place de la future mosquée. L’année suivante, pour la Fête de la ville, l’association tient un stand et offre gracieusement  aux passants des pâtisseries orientales et du thé à la menthe. Ce sont plus de mille verres qui seront distribués et autant d’occasions d’échanger. Une  stratégie qui s’avère payante, l’association fait partie désormais du paysage local. Cette année-là, la mairie prête aux musulmans de Drancy, pour le mois de ramadan, un chapiteau. Quelques semaines plus tard, l’Aïd y est célébré en présence des principales communautés de la ville. Ce sont d’ailleurs elles qui vont s’émouvoir du sort des musulmans de Drancy, privés d’un vrai lieu de culte.

© Lahcène Abib
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L’affaire est désormais entendue, Drancy aura sa mosquée. C’est la mairie qui négociera avec Carrefour l’achat du terrain, et financera les travaux, pour une enveloppe de 1,8 million d’euros. Depuis l’association rembourse chaque mois la mairie. « Oui, je vous ai volontairement caché que ce serait une mosquée. Je voulais montrer la normalité d’un tel projet. Et, aujourd’hui, tout prouve que j’avais raison de le faire. Contrairement à tous ces maires qui annoncent dans les médias qu’ils veulent une mosquée, moi, je l’ai », a annoncé, en septembre dernier, le député-maire de Drancy, Jean-Christophe Lagarde. Une déclaration qui a suscité l’indignation de certains de ses administrés. « Rien de grave », tempère Hassan Chalghoumi, qui souligne avoir le soutien de Haim Amar, le rabbin de Drancy, et du Père Vincent, tous deux convaincus de la nécessité pour les musulmans d’avoir un lieu de culte digne de ce nom. 

Un lieu d’intégration et d’ouverture
 
« La mosquée n’est aux mains d’aucune communauté. Ici Marocains, Algériens, Pakistanais, tous prient ensemble », assure l’imam. Juifs et chrétiens sont également les bienvenus. Une volonté de l’imam qui a voulu faire de la mosquée un lieu de dialogue et d’échanges interculturels. Il n’hésite pas à multiplier les symboles pour y parvenir. À cette fin, il a engagé comme responsable des relations extérieures un juif, Bernard Koch, qui se trouve être l’un des fondateurs de l’Amitié judéo-musulmane de France. Pour sceller cette entente interreligieuse, l’imam a convié, pour le mois de février, 15 imams, 15 rabbins et 15 Pères d’Église, pour un repas de paix et de dialogue. À l’occasion de l’Aïd al-Kabir de décembre 2008, de nombreuses personnalités et responsables politiques et religieux ont répondu favorablement à l’invitation de l’Association culturelle des musulmans. C’est le cas, notamment, de Safwat Ibrahim Ibraghith, conseiller de la Délégation palestinienne en France, et de l’évêque de Saint-Denis Mgr Olivier de Berranger. Ce désir d’ouverture se manifeste aussi par l’organisation d’événements interculturels. L’association n’a pas hésité à convier, pour fêter l’Aïd, un groupe de danseurs folkloriques yougoslaves. Un geste d’amitié envers la communauté yougoslave de la ville. Heureux hasard, la troupe vient de remporter le championnat d’Europe de danses folkloriques.

© Lahcène Abib
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Drancy, un nom gravé dans l’Histoire

Si la ville reste associée dans la mémoire collective à la Seconde Guerre mondiale, aujourd’hui elle se tourne résolument vers l’avenir.

Mémorial. Située à 10 km au nord-est du centre de Paris, dans le département de Seine-Saint-Denis, Drancy a été, de 1941 à 1944, le principal lieu de déportation des juifs vers les camps d’extermination nazis. Près de 80 000 juifs y furent internés avant leur déportation. Près de 65 000 d’entre eux ont été déportés à Auschwitz. 2 500 seulement en sont revenus. C’est la cité de La Muette, édifiée en 1933 par Eugène Beaudouin et Marcel Lods, qui fut reconvertie en camp d’internement. Ces immeubles parallèles de 4 étages et de 5 tours de 14 étages étaient alors les plus hautes réalisées en France, dans les années 1930. Dans les années 1950, la cité de La Muette a retrouvé sa vocation initiale d’habitation. Elle est aujourd’hui la propriété de l’Office départemental des HLM. Depuis, un Mémorial national du camp de Drancy a été édifié à l’entrée de la cité de La Muette. Il est composé d’un monument aux déportés, oeuvre de  Shelomo Selinger (1976), et d’un wagon-témoin (inauguré en 1988), dans lequel une exposition retrace l’histoire du camp. Sur le monument, une phrase gravée appelle au nécessaire devoir de mémoire : « Passant, recueille-toi et n’oublie pas. » C’est devant ce mémorial que l’imam de Drancy avait prononcé il y a deux ans un discours de paix, demandant aux musulmans du monde entier de respecter la mémoire juive. Coïncidence troublante, deux jours plus tard, sa maison était saccagée.

Repères
• 2004-2005 : premières tractations avec le maire de Drancy, Jean-Christophe Lagarde.
• 17 février 2008 : inauguration en présence de 4 000 fidèles et des principaux représentants de la ville.
• 260 enfants inscrits aux cours d’arabe et de religion, les mercredis, samedis et dimanches.
• 100 enfants participent à l’aide au devoir.
• Entre 2 000 et 2 500 fidèles chaque vendredi.
• 5 000 fidèles pour la prière de l’Aïd.
• Superficie : 1 700 m².

© Lahcène Abib
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Portrait
 
Né en Tunisie, Hassan Chalghoumi poursuit ses études de théologie et de sociologie en Syrie. Il arrive en France en 1996. De 1998 à 2001, il est président de l’Association culturelle des Musulmans de Bobigny et imam. À ce titre, il lance les premiers travaux pour une mosquée à Bobigny.
Puis ce père de 5 enfants déménage à Drancy, où il est restaurateur. Il se lance un nouveau défi : doter la ville d’un « vrai » lieu de prière. Pari réussi depuis février 2008. À 34 ans, il fait partie de cette nouvelle génération d’imams qui ont bien compris l’importance de la communication et de la bonne entente avec les élus locaux et les différentes communautés de la ville. Il est à l’origine de la venue du président du CRIF, Richard Prasquier, à Drancy, lors du ramadan, lequel se rendait pour la première fois dans une mosquée de banlieue parisienne. Un « costume » de médiateur que Hassan Chalghoumi avait déjà endossé pour la RATP.

Reportage de Nadia Hathroubi-Safsaf le Jeudi 15 Janvier 2009


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