Connectez-vous S'inscrire
Salamnews

CHEB Khaled « Avec le raï pour seul bagage, je casse les frontières »



Son légendaire rire ponctue chacune de ses phrases. Une bonne humeur contagieuse et une décontraction qui en feraient oublier le mythe qu’il est :
Cheb Khaled, 40 ans de carrière, ambassadeur algérien à travers le monde entier, qui a fait danser et ému bien des générations.


Les chiffres donnent le tournis : 13 albums « officiels » et 81,5 millions vendus dans le monde. Que cela vous inspire-t-il ?

Cheb Khaled : J’ai eu beaucoup de chance, dès ma première K7, j’avais déjà rencontré mon public. Je me suis produit aux quatre coins du monde, avec les plus grands artistes, que cela soit l’Américain Carlos Santana, les Marseillais d’IAM, mon compatriote Idir, l’Israélienne Noa… J’ai même mes chansons qui sont reprises par d’autres, comme dernièrement, Marc Anthony, la star latino (ndlr : ex-mari de Jennifer Lopez) qui vient de remporter un Grammy Award avec « Vivir Mi Vida », la reprise de ma chanson phare « C’est la vie » de mon dernier album. Ce succès, je le dois à mon dévouement : je travaille comme un fou, je donne tout, je donne mon cœur.

Comment votre dernier album s’inscrit-il dans le prolongement de votre carrière ?

Je suis assez amer, car finalement je ne trouve pas que mon dernier album ait rencontré son public en France. Alors qu’à travers le monde ce même album est au sommet des charts ! Pourtant, j’ai essayé de faire évoluer ma musique avec son temps, qu’elle soit en phase avec d’autres sonorités musicales. On retrouve notamment beaucoup plus d’électro que d’instruments traditionnels, même si je n’oublie pas l’acoustique sur certains morceaux. Je me suis entouré des meilleurs, qui connaissent parfaitement la musique internationale. Je pense, par exemple, au producteur marocain RedOne, qui a notamment travaillé avec Lady Gaga. C’est grâce à lui que j’ai pu réaliser mon duo avec Pitbull, un beau challenge ! Nous avons échangé nos mondes musicaux, car c’est la vocation première de la musique : l’ouverture !

Le raï prône justement cette ouverture d’esprit. À vos débuts, vous cassiez tous les codes traditionnels avec cette musique qui célébrait l’alcool, l’amour, la fête…

Le raï parle des choses de la vie tout simplement ! Il n’est pas hypocrite. Il est né à une époque où les jeunes ne pouvaient même pas se tenir la main dans la rue. Moi, je chantais l’amour naturellement, sans honte. C’était aussi le reflet d’une époque, d’une certaine ambiance, tout simplement d’une jeunesse. Notre remède lorsqu’on avait mal. Aujourd’hui, mon raï s’est assagi dans les textes, je transmets une certaine joie de vivre, des messages de paix…

Lorsque dans les années 1990, vous proposiez votre musique arabe dans le paysage musical français, il s’agissait presque d’un acte politique à l’époque !

Il est loin le temps de « Didi», où la France m’accueillait les bras ouverts ! J’ai débarqué dans les charts à l’époque où l’Arabe n’avait le droit de passer à la télé- vision qu’en troisième partie de soirée, dans l’émission « Mosaï- ques ». Je suis entré dans tous les foyers de France. Même de ceux qui pensaient qu’un Arabe n’était bon que pour être un voyou. Je leur ai démontré qu’il pouvait aussi être un artiste ambitieux ! Sans jamais faire de la politique, juste en offrant ce que la France avait besoin : de la joie, du soleil, des couleurs. 

Et aujourd’hui, quelle est votre place en France ?

J’ai toujours mon public que j’aime et sans qui je n’existerais pas. Même si j’ai le sentiment que la musique devient politique dé- sormais, qu’elle perd de sa spontanéité… Prenez l’exemple des Victoires de la musique de l’année dernière, où j’étais nominé pour mon album C’est la vie. Le duo malien Amadou et Mariam a remporté la victoire. Quelques jours plus tard, la France intervenait militairement au Mali… Forcément, je me pose certaines questions.

Votre musique dépasse la France, et cela a toujours été votre moteur finalement…

Je ne me suis jamais attendu à ce succès mondial. Même si j’ai toujours su qu’avec ma musique raï comme seul bagage, j’allais pouvoir casser les frontières et voyager loin. Je suis un citoyen du monde. J’ai réussi à porter la voix du Maghreb, sa culture, sa musique, partout, de l’Asie aux Amériques, en passant par la Russie. Vous savez, à l’époque j’étais numéro un en Inde, même avant Michel Jackson et son album Dangerous ! J’adore mon Maghreb, je le rêve uni et sans frontières. 

Vous avez suscité une polémique en acceptant la nationalité marocaine. Vous comprenez la colère des Algériens, qui vous aiment et vous critiquent ?

Je ne leur en veux pas, c’est culturel. Je suis un Algérien, un des leurs, comme quelqu’un de leur famille, alors ils ont ce sentiment que je leur appartiens. Même si je suis Algérien, je ne tourne le dos à aucun peuple. À tous mes concerts, j’ai le bonheur de voir défiler les drapeaux de toutes les nationalités devant moi, preuve que je ne suis pas l’homme d’un seul pays ! Quand le roi du Maroc m’a proposé la nationalité, je n’allais pas lui refuser quand même, c’est un honneur.

Vous habitez aujourd’hui au Luxembourg. Vous sentezvous toujours concerné par l’Algérie et sa politique ?

Personnellement je le suis, même si je n’aime pas trop en parler, car certains peuvent se demander ma légitimité en tant qu’artiste de parler de ces sujets. C’est d’ailleurs ma discrétion qui m’a sauvé à l’époque des événements, je n’ai jamais été menacé de mort. Aujourd’hui, je ne me rapproche d’aucun parti politique, mais je soutiens ouvertement un homme, notre président Bouteflika. Je l’admire pour ce qu’il a fait de l’Algé- rie. Il l’a sécurisée, modernisée, enrichie à de nombreux niveaux, que cela soit l’éducation ou l’économie. Nous sommes quand même le seul pays au monde à ne pas avoir de dettes ! Depuis qu’il est au pouvoir, j’ai vu un grand changement et je marche la tête haute, fier de mon pays. Je défie quiconque de faire aussi bien ou mieux que lui. Cela me rappelle cette chanson
« Djazair Warda », l’Algérie est comme une rose, je lui souhaite la paix…

Vous ne parlez pas, ou peu, de la religion dans vos textes. Est-ce de l’autocensure ?

Je suis un musulman et fier de l’être. J’aime Allah et mon Prophète Muhammad, que la paix soit sur lui. Je pleure intérieurement en imaginant que je puisse mourir sans effectuer mon pèlerinage. Cependant, je pense sincèrement qu’il s’agit d’une question de l’intime. Je n’ai pas besoin de crier haut et fort ma religion, même si je ne m’empêche pas de parler de spiritualité. Comme « Bab Jenna » dans mon dernier album, où je rêve de danser avec ma mère devant les portes du Paradis, si Dieu veut. À chaque fois que je la chante, j’ai les larmes qui coulent. Et puis Jenna, c’est aussi le prénom d’une de mes filles…

BIO EXPRESS
Né à Oran en 1960, rien ne prédestinait le jeune Khaled (de son vrai nom Khaled Hadj Brahim) à devenir le roi du raï. Né d’un milieu modeste, il a très tôt la fibre musicale en écoutant du flamenco, de l’oriental classique et du rock américain. À 10 ans il crée son premier groupe et à 14 ans sort son premier 45 tours. Visionnaire dans sa musique, il modernise le raï en intégrant des instruments électroniques. Après plusieurs hits nationaux, il s’envole pour la France, où il rencontre le succès avec « Didi » en 1992. En 1994, il reçoit le César de la meilleure musique écrite pour le film Un, deux, trois, soleil. Deux ans plus tard, il continue son ascension avec « Aïcha » de Jean-Jacques Goldman pour l’album Sahra. Il ne manque pas le tournant RnB des années 2000, en collaborant avec des chanteurs de la nouvelle génération comme Mélissa M. (en 2007) ou le groupe Magic System. D’un point de vue personnel, il utilise son nom pour défendre des causes, et est nommé ambassadeur de bonne volonté auprès de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Car comme il le dit : « J’ai envie de mourir en laissant quelque chose à mon prochain. » 

Propos recueillis par Karima Peyronie le Mercredi 1 Octobre 2014

Edito | Tête d'affiche | Une Ville, une mosquée | Beauté | Business | Sport | De vous à nous





Edito

La double onde de choc

Mohammed Colin - 23/10/2023
Au moment où nous mettons sous presse ce numéro dont le dossier, décidé il y a plusieurs semaines, porte sur le dialogue interreligieux à l’occasion des 50 ans du Service national pour les relations avec les musulmans (SNRM) de l’Eglise catholique, nous avons été heurtés au plus profond de nous-mêmes par la barbarie qui s’est abattue sur des civils israéliens et celle qui est ensuite tombée sur les civils palestiniens. Et il y a cette angoisse que le pire n’est toujours pas encore arrivé. Quand le sang d’enfants coule, à défaut de pouvoir sauver ces vies, nous nous devons de condamner ces actes abjects par tout ce qu’il y a en nous d’humanité. Ce nouvel épisode tragique nous rappelle tristement que le conflit dure depuis plus de 75 ans. La solution est résolument politique et le statu-quo mortifère auquel la communauté internationale s’est accommodée est intenable. Toutes les énergies doivent s’orienter vers la mise en oeuvre d’une paix juste et durable dans la région. Ébranlé par l’onde de choc de la tragédie du Moyen-Orient, comme si cela n’était pas suffisant, voilà qu’une nouvelle fois encore, le terrorisme sévit au sein de notre école, enceinte républicaine symbolisant l’avenir de notre nation. Hier Samuel Paty, aujourd’hui Dominique Bernard. Il est toujours insupportable de voir, au nom de la deuxième religion de France, qu’on assassine nos concitoyens, tue nos enseignants. Pire encore, de voir l’effet toxique à long terme sur notre tissu social si nous ne faisons pas preuve de résilience. En effet, il faut accepter qu’en démocratie, le risque zéro à propos d’attentats ne puisse exister sans remettre en cause l’État de droit. De même, il est illusoire de vouloir supprimer les divisions internes de notre société, de taire ses conflictualités aussi exacerbées soient-elles, car c’est le principe même de la démocratie. Pour être résiliant, nous devons apprendre à les assumer.