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Booder & Paul Séré « Pour tous tes projets, pars d’un kiff »



Ils viennent du stand-up, ont la tchatche des jeunes qui veulent percer dans cette société qui ne leur ouvre pas toujours ses portes. Et c’est par l’humour
que Wahid Bouzidi, Booder et Paul Séré s’affirment sur scène.
Dans La Grande Évasion, ils rendent hommage au théâtre avec leur gouaille bon enfant.
Entretien avec deux des acolytes.


Booder & Paul Séré « Pour tous tes projets, pars d’un kiff »

Comment vous est venue l’idée du spectacle ?

Paul Séré : On est de la même génération, on vient du stand-up. L’idée est partie à trois, il y a un an et demi, dans un carré de TGV en direction de Grenoble. Phy- siquement, on ne se ressem- ble tellement pas, ça nous avait sauté aux yeux [rires] ! À l’origine, c’était plus mon truc, mais on discutait en réunion et on écrivait ensem- ble. On a la notion du partage : on n’a pas la même méthode car on ne vient pas de la même école, mais on se complète à trois.

Le fait de jouer à trois est-il une histoire d’amitié ?

Booder : : On se connaissait du fait de nos parcours similaires ; même sans se voir, on suivait le parcours de chacun et on se retrouvait maintes fois dans des festivals. De là est née cette amitié. S’il n’y a pas une amitié, s’il n’y a pas de plaisir, cela se ressent sur scène. On était parti sur un délire de se dire: on part tous les trois faire des festivals où on joue 15 minutes de nos sketchs chacun et des sketchs à trois. Et puis je leur ai dit : « Les gars, je suis en train de vivre un truc avec Édouard Baer, avec la pièce À la française, qui s’appelle le théâtre. »

Justement, votre pièce n’est-elle pas un hommage au théâtre ?

Booder : Vu que le théâtre, ça barbe tous les jeunes ‒ même nous, quand on était jeunes, ça nous barbait d’aller voir Richard III qui durait 5 heures et des comédiens qui cachetonnaient plus qu’ils ne jouaient et qu’il fallait ensuite faire une dissertation ! ‒, on s’est dit : « Pourquoi on partirait pas de trois mecs qui revisitent tout le théâtre classique? » Paul : Parce qu’on aime le théâtre aussi. Cyrano de Bergerac, Roméo et Juliette, L’Avare, Hamlet… Ce sont des pièces que j’ai lues et que j’ai adorées.

La force comique du spectacle est de faire jouer des textes classiques par des protagonistes ayant la tchatche des quartiers

Booder : Même si la langue est en ancien français ou en langage soutenu, ce sont des pièces encore valables aujourd’hui, hypermodernes. L’Avare : on connaît tous dans notre entourage quelqu’un très porté sur l’argent, pingre et radin. Cyrano : c’est le roi de la vanne, et on est dans l’ère de la chirurgie esthétique où l’importance (ou non) du physique est toujours d’actualité. Quand les deux personnages de Paul et de Wahid disent de Roméo et Juliette que c’est comme Rohff et Bouba, ils expliquent la relation avec les mots d’aujourd’hui.

Avec ces références au théâtre et au cinéma, est-ce une façon de dire que votre culture est profondément française ?

Paul : En tout cas, on est très respectueux. J’ai commencé par jouer du Koltès, du Shakespeare : dans la cité en bas de chez moi, il y avait un théâtre où j’ai fait mes premières armes. C’est pour ça que j’avais du mal à jouer mes propres textes car j’avais ce complexe par rapport aux grands auteurs. 

D’où vient votre basculement du théâtre classique au one-man-show ?

Paul : Le monde du théâtre est fermé. C’était compliqué, avec mon physique de sportif et mon phrasé un peu de banlieue, d’entrer dans la sphère des théâtreux. Et c’est l’humour qui m’a ouvert les bras.

Et toi, Booder, comment êtes-vous entré sur scène ? Est-ce un pis-aller, une volonté, une rencontre ?

Booder : Mon premier spectacle est d’abord venu d’une frustration. Je suis comptable de formation et je n’ai pas trouvé de travail, on ne m’a jamais donné ma chance en compta. En 1995, j’ai rencontré deux potes avec qui on a créé les Sans-Amis, on écrivait des sketchs à trois parce qu’on était fans des Inconnus. À cette époque-là, il n’y avait que Smaïn d’ori- gine maghrébine qui était au top, puis Jamel, via Nova, et Éric et Ramzy qui com- mençaient émerger. On est arrivé deux-trois ans après cette génération et on n’a pas réussi à faire notre trou. Je dis toujours : Smaïn a ouvert les portes, mais Jamel a laissé la porte ouverte, et même les fenêtres. Mes acolytes me disaient de laisser tomber. Je me suis mis à écrire mon premier spectacle, une auto- biographie. Mouss Diouf est venu, il jouait dans Julie Lescaut et avait des contacts; Laurent Ruquier est venu, il m’a proposé d’aller dans sa bande. Et en l’espace de six-sept mois, d’un coup, en 2004, mon spectacle a explosé à Paris et en banlieue. Je l’ai joué 320 fois.

Dix ans après, quelle analyse portez-vous sur ces jeunes diplômés encore en galère ?

Booder :  Cela n’a pas changé. Le film La Haine (1995) n’a pas vieilli, on en est au même point. Le vrai chan- gement est dans le monde artistique. Je suis content qu’aujourd’hui il y ait des scènes ouvertes, que tout le monde puisse avoir accès à l’art en écrivant. Grâce à l’Internet, on peut se passer des grandes chaînes de télé- vision, il n’y a plus de cercles fermés comme l’était la télé autrefois.

Peut-on rire de tout ?

Booder : LLe vocabulaire est très important : il y a rire et se moquer ; rire avec quelqu’un et rire de quelqu’un. Les grands humoristes français étaient d’abord de grands provocateurs. Ce sont des exercices de style. Ensuite, il y a des thèmes dont je me suis toujours écarté parce que je ne vois pas quel angle d’humour il y a à se moquer des trisomiques, de la guerre d’Algérie, de la shoah, de l’islam… Je n’ai pas cette prétention ni peut-être cette force intellectuelle à trouver un angle d’attaque pour faire rire sur ces thèmes-là. Et quand je vois des mecs le faire, je me dis qu’ils marchent sur des œufs. 
Paul :  Nous trois, on est plus dans une logique de rassemblement. Quand je fais de l’humour, j’aime rassembler, je n’aime pas provoquer et créer le malaise.

Quelle est votre part dans la société : donner ce regard optimiste grâce au rire ?

Paul :  Chacun peut évoluer de façon très positive dans la vie de tous les jours : quelles que soient sa condition et ses origines sociales, il faut travailler. C’est ce que font les mecs sur scène, ils se lancent, peu importe le résultat, c’est de toute façon positif. Avec cette pièce, on ne s’est pas dit qu’il faut que ça marche, on est parti d’un kiff. Que tu veuilles être commercial, électricien, plombier ou artiste qui fait du stand-up, dans chaque métier il y a des trucs fabuleux qui peuvent être réalisés, encore faut-il s’impliquer et le faire avec amour.
Booder :  On est à un point de notre carrière où chacun peut prendre son chemin ; mais s’il n’y avait pas le kiff, je pense qu’on se serait arrêté à la tournée en banlieue. La tournée en banlieue de La Grande Évasion a été très importante, car on a fait rire en des lieux où les gens se vannent tout le temps. Et notre pièce de théâtre les a fait rire. Au sortir de ces représentations, je me suis dit : si on a réussi à faire rire là, on peut faire rire dans un cimetière. 

BIO EXPRESS
De la différence naît la complémentarité : Booder, Wahid Bouzidi et Paul Séré cartonnent actuellement à l’Apollo Théâtre (jusqu’au 2 mai), à Paris, dans La Grande Évasion, une pièce qu’ils ont coécrite. Le pitch ? Trois détenus – l’un voulant retrouver sa femme, l’autre ne pensant qu’à « pécho », le dernier qu’à se sustenter – doivent jouer une pièce de théâtre devant la garde des sceaux qui viendra visiter la prison ; en échange, une remise de peine leur est promise. Emplie de références théâtrales et cinématographiques, la pièce est une série de punchlines où les trois comédiens n’ont pas peur de se moquer d’abord d’eux-mêmes. Booder (Mohamed Benyamna) est le premier à être monté sur les planches, il a fait partie des chroniqueurs de la « Bande à Ruquier » et a joué plusieurs fois à l’écran, notamment dans Neuilly sa mère ! (2009) et eu le premier rôle de Beur sur la ville (2011), de Djamel Bensalah. Ayant commencé le théâtre en 2003, Wahid Bouzidi a percé sur la scène du Jamel Comedy Club, on le voit au cinéma, notamment dans Mohamed Dubois (2013), d’Ernesto Ona. Paul Séré, révélé en 2007 dans le Jamel Comedy Club, a joué son one-man-show avec, en première partie, Kamel le Magicien, pour lequel il a coécrit des chroniques pour le « Grand Journal » de Canal+.

Propos recueillis par Huê Trinh Nguyên le Mercredi 1 Avril 2015

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