
Quel regard portez-vous sur le climat social qui règne en France, neuf mois après les attentats de janvier ?
Bariza Khiari : Il y a eu une mobilisation du peuple français exceptionnelle, mais je crois qu’au-delà de cette fraternisation magnifique les choses n’ont pas changé en profondeur. L’islamophobie a cours autant que d’habitude, si ce n’est plus. Ce qu’il y a d’intéressant, c’est qu’on commence à prendre conscience de ce fl éau et à utiliser le terme. François Hollande l’a prononcé en janvier dans un discours à l’Institut du monde arabe, c’est une avancée !
Certains refusent d’utiliser le mot « islamophobie » pour qualifier les actes antimusulmans. Quel est votre point de vue ?
L’islamophobie n’est pas seulement la phobie de l’islam, car derrière l’islam il y a des musulmans ! Quand on critique la religion, on critique les adeptes de cette religion. Le terme « islamophobie » désigne les actes et les propos antimusulmans et je l’utilise sans complexe. Il est faux de dire qu’il a été créé par l’ayatollah Khomeyni pour empêcher toute critique de la religion, ce terme avait déjà été utilisé par l’administration française au début du siècle dernier.
Avec les prochaines échéances régionales et présidentielle, l’islam va-t-il devenir un enjeu électoral ?
L’islam sera un enjeu électoral parce que c’est clivant. Quand l’ex-président Sarkozy parle des repas de substitution, du droit du sol, il est évident que « immigration » et « islam » seront les sujets qui vont rythmer la campagne. Il y a dix ans, bien sûr que j’étais musulmane, je vivais cela dans la discrétion. Mais, au fi l du temps, j’ai compris qu’il fallait que je sorte du bois. Aujourd’hui, je ne cesse de dire que je suis farouchement républicaine et sereinement musulmane. Dire qu’on est « laïc catholique », « laïc protestant », « laïc juif » ne choque personne ; mais quand on dit « laïc musulman » il y a doute, pourquoi ? Il faudra compter avec la prise de conscience des citoyens de confession musulmane qui réagiront en utilisant le bulletin de vote.
Certains appellent à un aggiornamento de l’islam, surtout chez les non-musulmans mais maintenant également de la part d’intellectuels musulmans, qu’en pensez-vous ?
Je ne sais pas si le terme d’aggiornamento est approprié. Moi, je prêche pour les termes qui sont utilisés dans l’histoire de l’islam, c’est-à-dire l’exégèse et je rajoute réformatrice. Dans les textes scripturaires de l’islam, nous avons les outils de notre propre modernité. Le musulman est un homme ou une femme de foi et de raison. La controverse et la critique ont nourri durant des siècles la pensée islamique. Je ne vois pas pourquoi on devrait s’en priver aujourd’hui. Certains considèrent le Coran comme un Code pénal (licite/illicite) en rejetant la dimension qui révèle l’Homme à lui-même : la spiritualité. Dès lors, les travaux de recherche portant sur la refondation de la pensée islamique sont nécessaires sous peine d’assister, à une plus grande échelle, à un endoctrinement religieux aussi médiocre qu’aliénant.
Dans votre ouvrage Le Soufisme : spiritualité et citoyenneté (Fondapol, 2015), vous comparez la confrérie soufie à un think tank, une notion plutôt contemporaine…
J’utilise le terme de think tank car, depuis quelques années, nous voyons fleurir des rencontres intéressantes de confréries soufies qui ne sont pas seulement consacrées au samâ (ndlr : chants et danses soufis), au dhikr (ndlr : invocation de Dieu), aux aspects purement religieux, ce sont aussi des lieux de réflexion et de débats pour tenter d’humaniser la mondialisation faisant se rencontrer musulmans et non musulmans. Avec Faouzi Skali, directeur du Festival des musiques sacrées de Fès, j’ai cofondé le Festival des cultures soufies de Fès, l’année prochaine nous en serons à la dixième édition. Il y a une effervescence incroyable !
D’après vous, le soufisme peut-il s’ériger comme rempart face à l’islam radical et à ses dérives ?
Le soufisme, qui vise la voie de l’excellence (ihsan), est un rempart contre l’intégrisme car il rend plus difficile le détournement de la foi au profit d’une vision pervertie. Le croyant n’est pas seul devant un écran d’ordinateur mais il est dans un collectif qui sert de garde-fou à de possibles dérives. Le désordre et le chaos entravent l’émergence d’une dimension spirituelle. Il n’y a pas de soufis extrémistes ni de soufis radicaux : c’est antinomique, un non-sens dans le soufisme, qui est la voie de l’amour, de la tendresse et de l’affection.
Vous êtes membre de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Un an après le conflit à Gaza, quel regard portez-vous sur la situation ?
La situation n’a jamais été aussi explosive. De plus, il n’y a rien sur la table pour espérer mieux. Il faudrait que les colombes soient au pouvoir en Israël pour que les choses aillent un peu mieux. J’ai espéré aussi que Barack Obama, à l’occasion de son deuxième mandat, puisse faire ce geste extraordinaire que serait la paix au Proche-Orient. C’est aussi décevant de ce côté-là. Ce que j’ai pu faire, à mon humble niveau, c’est de faire voter au Sénat, alors que la gauche n’était pas majoritaire, le texte de reconnaissance de l’État de Palestine, qui est passé à sept voix près.
Comment, selon vous, rétablir le pacte républicain entre les différents pans de la société française ?
Le pacte républicain est fragilisé car nous avons deux forces en présence : d’un côté, des radicaux et extrémistes musulmans qui sont une minorité, mais une minorité agissante et visible ; de l’autre, un Front national et une partie de la droite qui surfe sur les rives du FN. Ils s’autoalimentent et se nourrissent l’un l’autre. Nous avons une responsabilité lourde d’intégration économique des plus fragilisés. Quand les gens ont du travail, cela va mieux pour tout le monde. Mais le citoyen a aussi une obligation vis-à-vis de la République : la primauté de sa citoyenneté sur son identité, car s’il fait vivre son identité avant sa citoyenneté, le pacte républicain se fissure
Vous dites que spiritualité et idéal républicain sont compatibles, n’est-ce pas là un vœu pieux ?
Spiritualité et République sont compatibles. Sans jouer la partition trop facile de la victimisation, nous nous heurtons à la configuration idéologique française singulière. Pour le dire plus simplement : la droite, dans une tradition nationaliste, n’aime pas les étrangers donc les immigrés ; et la gauche, façonnée dans son combat contre l’Église, n’aime pas les croyants donc les musulmans. Où nous situonsnous, venant d’ailleurs, qui avons apporté, à travers nos parents, outre la force de travail, des traditions, une langue, une religion ? Une langue, une religion, ce sont des éléments culturels dont on ne peut se défaire, d’ailleurs la République ne nous le demande pas. Mais elle exige de les vivre dans le cadre des lois et des règles de ce pays et c’est normal. Les musulmans partagent dans leur majorité l’idée que la loi doit protéger l’exercice de la foi aussi longtemps que la foi ne prétendra pas dire la loi. Parallèlement, la République doit aussi faire en sorte qu’il y ait justice entre tous ses enfants. C’est plus difficile en période de crise, les efforts doivent être faits des deux côtés. Les musulmans ont surtout besoin de respect.
BIO EXPRESS :
Née le 3 septembre 1946 dans les Aurès (Algérie), Bariza Khiari puise son engagement dans son histoire familiale. Son père et sa mère ont tous deux fait de la prison en France alors qu’ils militaient pour la décolonisation de l’Algérie. « Ce fut l’élément principal de déclenchement de mon parcours pour la justice. J’ai compris très vite qu’il y a des citoyens et des sous-citoyens », évoque-t-elle. Militante au sein du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) au lycée Janson-de-Sailly, à Paris, où ont étudié ses trois fi ls, syndicaliste CFDT quand elle était haut fonctionnaire au sein du ministère du Tourisme, Bariza Khiari peut se prévaloir de son expérience de terrain. En 1980, elle s’engage au Parti socialiste (PS) où elle dit y avoir fait « mes classes : adhérente, militante, secrétaire de section, secrétaire fédérale, secrétaire nationale, membre du conseil national, membre du bureau national, conseillère du 16e à Paris, puis sénatrice de Paris et élue en 2011 vice-présidente du Sénat ». Sénatrice depuis 11 ans, elle a été élue, en octobre 2014, juge à la cour de justice de la République.
Née le 3 septembre 1946 dans les Aurès (Algérie), Bariza Khiari puise son engagement dans son histoire familiale. Son père et sa mère ont tous deux fait de la prison en France alors qu’ils militaient pour la décolonisation de l’Algérie. « Ce fut l’élément principal de déclenchement de mon parcours pour la justice. J’ai compris très vite qu’il y a des citoyens et des sous-citoyens », évoque-t-elle. Militante au sein du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) au lycée Janson-de-Sailly, à Paris, où ont étudié ses trois fi ls, syndicaliste CFDT quand elle était haut fonctionnaire au sein du ministère du Tourisme, Bariza Khiari peut se prévaloir de son expérience de terrain. En 1980, elle s’engage au Parti socialiste (PS) où elle dit y avoir fait « mes classes : adhérente, militante, secrétaire de section, secrétaire fédérale, secrétaire nationale, membre du conseil national, membre du bureau national, conseillère du 16e à Paris, puis sénatrice de Paris et élue en 2011 vice-présidente du Sénat ». Sénatrice depuis 11 ans, elle a été élue, en octobre 2014, juge à la cour de justice de la République.