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Akhenaton « Il faut des artistes qui prennent des risques et ouvrent des portes »



Directeur artistique de l’exposition « Hip-hop, du Bronx aux rues arabes », installée à l’Institut du monde arabe (IMA) jusqu’au 26 juillet, Akhenaton raconte
la genèse de ce projet et bien plus encore. Rencontre avec le rappeur star du groupe IAM.


Akhenaton « Il faut des artistes qui prennent des risques et ouvrent des portes »

Victoire de la musique pour votre dernier album, direction artistique à l’IMA pour l’exposition sur le hip-hop, égérie pour Coca-Cola… Vous êtes gâté ces derniers temps…

Akhenaton : L’Institut du monde arabe est une vraie institution. Il y a quinze ans, je n’aurais pas fait une expo de hip-hop dans un musée, mais je pense que la période actuelle en a besoin. J’ai aussi réalisé qu’il y avait quelque chose de dramatique à ce que le hip-hop soit une culture ultra répandue mais qu’elle ne soit fixée dans aucun endroit de manière historique. Cette exposition est importante pour
deux raisons. Le public ne nous connaît pas, j’ai toujours eu espoir qu’on arriverait à changer les choses et à se faire accepter pour ce qu’on est, c’est-à-dire des créateurs, qui font des morceaux, de la peinture, de la danse, montent des spectacles, mais on est toujours vus comme des délinquants repentis, des assistés sociaux qui ont eu de la chance. L’idée ici est d’ancrer la culture hip-hop dans son existence et de mettre à l’honneur des pays arabes dans leur créativité malgré les difficultés vécues dans ces pays.

Qui a pris l’initiative de monter cette exposition ?

Mario Choueiry, un ami libanais, travaillait pour Emi Arabia quand nous (le groupe IAM, ndlr) étions des artistes signés chez Delabel. On préparait l’album Ombre est lumière (1993), on samplait beaucoup la musique arabe et on cherchait à faire des collaborations avec des artistes du genre. Mario nous a permis de collaborer avec un chanteur libyen, Cheb Jilani.C’est lui qui m’a contacté il y a deux ans pour me proposer de faire une exposition sur le hip-hop. Mon idée a été de l’axer sur la transmission, car c’est une tradition arabe et africaine : la transmission orale, la transmission de la culture... Ici, c’est une transmission du Bronx aux pays arabes. Les Français, très prétentieux, croient que le hip-hop est passé par chez eux avant de venir aux pays arabes, mais il est bel et bien venu directement des États-Unis aux pays arabes. Au Liban, il y a des rappeurs aussi anciens que ceux du rap français.

Certaines personnes pensent aussi que le hip-hop est né dans les pays arabes avec les soulèvements révolutionnaires...

Il y a des rappeurs comme Dam ou Gaza Team (des groupes palestiniens, ndlr) avec qui j’ai fait des morceaux qui n’ont
pas attendu ces révolutions. Même dans l’engagement, certains rappeurs connaissaient des ennuis dans leurs pays respectifs. The Narcysist (un rappeur irakien, ndlr), par exemple, a dû quitter l’Irak pour aller au Canada. Pareil pour des groupes de métal qui passent leur vie en prison. Ils dérangeaient Saddam Hussein à l’époque, dérangent le gouvernement actuel et dérangent Daesh... Je suis heureux
de voir de nombreux graffeurs et artistes du monde arabe présents à l’expo. 

Quel est votre sentiment des événements qui ont suivi les Printemps arabes ?

Le peuple s’est fait voler sa révolution. On le voit en Syrie : la révolution a été lancée pour espérer plus de liberté, une réelle égalité dans la société, mais, aujourd’hui, les acteurs d’un côté et de l’autre s’envoient des missiles et des armes dans la gueule. Les gens qui ont fait les premières manifestations sont chez eux enfermés, s’ils ne sont pas arrêtés ou tués. La Libye est une guerre coloniale de l’ère moderne. C’est un braquage des sociétés pétrolières appartenant aux Italiens et aux Allemands, par les Français, les Américains
et les Anglais. On a enlevé les clés à certains pour les donner à d’autres. Maintenant ceux qui ont les clés se les disputent. Le peuple perd au final. Ceux qui s’en sortent le mieux sont les Tunisiens, parce que leur niveau d’éducation est beaucoup plus élevé, ce qui fait qu’on ne peut pas les désinformer. Ils ne se laissent pas marcher sur les pieds.

Parlons religion. Les personnes que vous rencontrez vous fontelles des allusions au sujet de votre foi ?

Tout le temps. On me demande souvent : « Mais pourquoi tu t’es converti ? Parce que tu t’es marié à une musulmane ? » Je dis non, c’est parce que j’ai lu des livres et des gens admirables. Dieu merci, je me suis converti en 1992 ! Si je m’étais converti dans la période actuelle, on m’aurait dit que je suis un terroriste ! Le sujet islam n’est pas compris. C’est comme l’expo : il faut de la vulgarisation. Depuis le 11-Septembre, je dis qu’il faut que les chaînes françaises diffusent un film comme Le Message (célèbre oeuvre de Moustapha Akkad sortie en 1976 qui relate la vie du Prophète Muhammad, ndlr) pour montrer aux habitants de ce pays que ce n’est pas une religion qui est tombée comme une météorite sur Terre, qu’elle s’inscrit dans une continuité monothéiste lisible par les peuples chrétien et juif. Cela permettrait de rapprocher du monde en instaurant un dialogue. J’en parlais avant dans ma musique, mais je n’en parle même plus. Les gens sont dans l’émotion et refusent le débat. La peur puis la haine s’installent.

Le climat post-Charlie est-il propice à ouvrir un dialogue ?

Non. Tout est fracturé. Tout est noir ou blanc, rien entre deux. J’ai donné une interview à Europe 1 à ce sujet (en mars, ndlr). Elle a été résumée par Le Figaro par : « Akhenaton dérape sur les caricatures de Mahomet » alors que je parlais de racisme et non de religion. Le Prophète est assez grand, dans mon esprit et dans mon coeur, pour se défendre tout seul. La caricature danoise du Prophète avec
la bombe en guise de turban est aussi raciste que les caricatures des juifs pendant l’entre-deux guerres.

N’avez-vous jamais eu envie de quitter la France ?

Si, c’est permanent. J’ai habité à New York pendant deux ans, dans les années 1980. Oui, j’ai envie de partir et, en même temps, j’ai envie de lutter.

Vous dites songer à partir, est-ce un message que vous souhaitez délivrer à la jeunesse ?

Non, je ne suis pas un exemple. Si je pense à partir, c’est parce que la France m’a usé en 30 ans. Usé de répéter les mêmes trucs et de voir les mêmes choses sans aucun changement. Le message à délivrer aux jeunes générations est de se battre et de prendre le
relais, de montrer qu’on peut faire des choses bien. Quand on fait un sondage pour demander ce qu’est un Arabe bien intégré, on nous révèle que ce sont des personnes qui mangent du jambon et boivent de l’alcool, et non des gens qui ont un travail, vont à l’université, ont une famille et paient leurs impôts. Les critères d’intégration : le porc et le vin. C’est quand même des critères de surface ! On n’est pas dans une profondeur de réflexion. Je suis pour la laïcité, mais pas pour qu’elle tombe dans un fondamentalisme laïque car il peut être aussi dangereux que les autres formes de fondamentalisme. Je suis contre tous les radicalismes. 

BIO EXPRESS
Voilà plus de 30 ans que Philippe Fragione, alias Akhenaton, baigne dans le rap, jusqu’à devenir un des ambassadeurs les plus emblématiques du rap français. Né le 17 septembre 1968 à Marseille, issu d’une famille immigrée d’Italie par ses quatre grands parents, Akhenaton découvre le rap à la suite de séjours à New York où est installée sa famille paternelle. Avec ses compères Shurik’n, Kheops, Kephren et Imothep, il forme le groupe IAM ; ils sortent en 1989 la cassette Concept autoproduite puis, en 1991, leur 1er album De la planète Mars. Ombre est lumière (1993) est leur 2e album, et c’est le titre « Je danse le Mia » qui hisse les Marseillais au rang de pilier national du rap français. S’ensuivront 5 autres albums. En 1993, Akhenaton se convertit à l’islam et prend le nom d’Abd
el-Hakim. Par la suite sortent des albums en solo : Métèque et mat (1995), Sol Invictus (2001), Black Album (2002), Soldats de fortune (2006), où il allie poésie, mythologie, introspection spirituelle et engagement politique. En 2008, le groupe IAM fête ses 20 ans d’existence en jouant un concert au pied des pyramides, au Caire. Le dernier album solo Je suis en vie (2014) reçoit le prix Album
de musique urbaine aux Victoires de la musique 2015.

Propos recueillis par Fatima Khaldi le Lundi 1 Juin 2015

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Edito

La double onde de choc

Mohammed Colin - 23/10/2023
Au moment où nous mettons sous presse ce numéro dont le dossier, décidé il y a plusieurs semaines, porte sur le dialogue interreligieux à l’occasion des 50 ans du Service national pour les relations avec les musulmans (SNRM) de l’Eglise catholique, nous avons été heurtés au plus profond de nous-mêmes par la barbarie qui s’est abattue sur des civils israéliens et celle qui est ensuite tombée sur les civils palestiniens. Et il y a cette angoisse que le pire n’est toujours pas encore arrivé. Quand le sang d’enfants coule, à défaut de pouvoir sauver ces vies, nous nous devons de condamner ces actes abjects par tout ce qu’il y a en nous d’humanité. Ce nouvel épisode tragique nous rappelle tristement que le conflit dure depuis plus de 75 ans. La solution est résolument politique et le statu-quo mortifère auquel la communauté internationale s’est accommodée est intenable. Toutes les énergies doivent s’orienter vers la mise en oeuvre d’une paix juste et durable dans la région. Ébranlé par l’onde de choc de la tragédie du Moyen-Orient, comme si cela n’était pas suffisant, voilà qu’une nouvelle fois encore, le terrorisme sévit au sein de notre école, enceinte républicaine symbolisant l’avenir de notre nation. Hier Samuel Paty, aujourd’hui Dominique Bernard. Il est toujours insupportable de voir, au nom de la deuxième religion de France, qu’on assassine nos concitoyens, tue nos enseignants. Pire encore, de voir l’effet toxique à long terme sur notre tissu social si nous ne faisons pas preuve de résilience. En effet, il faut accepter qu’en démocratie, le risque zéro à propos d’attentats ne puisse exister sans remettre en cause l’État de droit. De même, il est illusoire de vouloir supprimer les divisions internes de notre société, de taire ses conflictualités aussi exacerbées soient-elles, car c’est le principe même de la démocratie. Pour être résiliant, nous devons apprendre à les assumer.