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Abdel-Rahmène Azzouzi: « L’avenir nous appartient ! »



Chirurgien-urologue, responsable des relations internationales à la faculté d’Angers, conseiller municipal, président d’une association, membre du prestigieux Club XXIe siècle, Abdel-Rahmène Azzouzi porte de nombreuses casquettes. Un homme très occupé, qui a pris le temps de nous recevoir pour une conversation à bâtons rompus dans son château, près d’Angers.


© France Keyser
© France Keyser

Comment avez-vous décidé de devenir chirurgien-urologue, vos parents sont dans la profession ?

Abdel-Rahmène Azzouzi : J’ai coutume de dire que ce n’est pas moi qui ai choisi la médecine, mais la médecine qui m’a choisi. Mes parents ne sont pas du tout de ce milieu : ma mère était mère au foyer et mon père, ouvrier. À 7 ans, je disais déjà que je serais chirurgien-cardiologue. Une fois que je me suis fixé cet objectif, je ne me suis plus posé de questions, j’ai foncé ! J’ai simplement changé de spécialisation en cours de route.

Comment expliquez-vous le faible nombre de médecins, chirurgiens issus de l’immigration ?

A.-R. A. : Une anecdote : une de mes soeurs était une élève brillante, ayant d’excellentes notes ; mais pour ne pas qu’elle soit première, son professeur lui a mis un zéro en écriture alors qu’elle avait une très belle écriture et qu’un de ses anciens professeurs avait gardé un cahier pour montrer à ses élèves ce qu’il attendait d’eux ! Ce que je veux souligner, c’est qu’il n’existe pas une véritable envie de pousser les jeunes à s’en sortir de la part de l’Éducation nationale. Je pense à ces « lycées-usines » comme celui de Paul-Éluard, à Saint-Denis, dans lequel j’ai fait une partie de ma scolarité, qui compte 2 000 élèves, dans des classes surchargées, avec des professeurs démotivés. Aucun de ces professeurs ne dit à ses élèves : « Faites médecine ! » Ces élèves n’ont pas de vrais exemples de réussite.

Justement, on peut dire que vous êtes un exemple de réussite ?

A.-R. A. : Le mot « exemple » me gêne, c’est reconnaître la défaite. Mon parcours devrait être la règle et non l’exception ! Même si on peut dire que j’ai frôlé la mort  sociétale ! Quand je suis arrivé à la faculté de médecine, j’étais en décalage. La plupart des étudiants étaient des enfants de médecins, mieux préparés que moi. Évidemment, la première année, j’ai échoué et terminé dans les profondeurs du classement ; mais l’année suivante, m’étant mieux adapté, j’ai réussi à me  hisser à la 28e place. Le travail, l’envie de s’en sortir sont des vraies valeurs à la portée de tous.

Vous venez de créer le CERMAN, Cercle de réflexion des musulmans d’Anjou. Quelle en est l’ambition ?

A.-R. A. : L’idée est d’agir par la pensée, d’être une force de proposition sur des sujets sociétaux qui intéresse la nation, tels la pauvreté, l’écologie, le logement. Le cercle comprend une dizaine de membres, qui ont une vraie réflexion sur ces sujets par leur connaissance du milieu associatif, politique et entrepreneurial.

Ce type de cercle existe déjà, quelle est la valeur ajoutée de l’association ?

A.-R. A. : Je pense personnellement que c’est enfin l’arrivée des musulmans dans la société, car nous sommes absents du débat public. Les politiques français et même parfois étrangers parlent pour nous. Notre approche n’est pas représentée. Le CERMAN, c’est être véritablement présent dans la société avec des propositions. Nous comptons faire entendre nos voix, en multipliant les contacts avec les élus et en mettant en place des rencontres-conférences.

On risque de vous taxer d’association communautaire, non ?

A.-R. A. : Le communautarisme dont nous sommes accusés existe dans tous les domaines : fonction publique, entreprises, logements, places dans les crèches, écoles, mandats politiques, médias, postes à responsabilité. C’est flagrant, en particulier à l’Assemblée nationale, qui ressemble à celle de l’Afrique du Sud avant la fin de l’apartheid ! Par conséquent, il existe deux grands axes de travail pour les musulmans que nous sommes. Un travail de pédagogie vis-à-vis de la majorité de ce pays : il s’agit de construire des ponts, là où d’autres s’acharnent à bâtir des murs. Et un travail de remise en cause de notre communauté : il nous faut plus d’ordre et de la discipline. Nous devons parler d’une seule voix, ce qui nécessite un vrai travail de concertation avec les associations, les mosquées. Notre communauté est maintenue volontairement dans l’anarchie par l’État français ! Il serait bon que la laïcité soit respectée dans notre pays par ceux qui s’en font les chantres.

Que voulez-vous dire par : « que la laïcité soit respectée » ?

A.-R. A. : J’entends par là que l’État devrait cesser de s’ingérer dans les affaires de la minorité musulmane, qu’il ne se mêle pas des affaires de nos cousins juifs ni de celles des catholiques. Jouer et raviver les nationalismes au sein de la minorité musulmane pour mieux la contrôler ne peut durer qu’un temps… Il est temps que la société française prenne conscience de la responsabilité de son action à l’égard de sa composante musulmane et finisse par l’accepter comme sienne à part entière. Le temps s’est accéléré et les musulmans n’attendront pas huit siècles avant de faire partie intégrante de ce pays. On attend toujours des signes forts envers notre communauté !

On vous sent prêt à embrasser une carrière politique ? C’est d’ailleurs un peu le cas avec votre mandat de conseiller municipal sans étiquette !

A.-R. A. : Concernant mon mandat de conseiller municipal, on est venu me chercher. J’ai accepté en me disant il faut bien commencer quelque part [rires]. Aujourd’hui, les choses se précisent, j’ai rencontré le président de Région, Jacques Auxiette. C’est de l’intérieur que l’on change le système. Donc oui, il faut entrer en politique.

C’est l’effet Obama ?

A.-R. A. : J’étais aux États-Unis en 2004, et, lorsque j’ai regardé un des premiers congrès d’Obama à la télévision, je me suis dit : « Lui, il va faire un carnage ! » Son élection a été un soulagement pour le monde entier. L’avenir nous appartient.

Vous êtes l’heureux propriétaire d’un château, c’est une revanche sur la vie ? Un signe de réussite ?

A.-R. A. : En achetant ce château, j’ai renoué avec le rang qui aurait dû être le nôtre, et par là même réglé mon problème avec la France à l’échelle individuelle. 
En effet, la machinerie mise en place par la République française à l’arrivée de nos parents, et dont l’objectif était l’échec global de notre population, m’a épargné. Mais qu’en est-il de tous les autres qui ont été sciemment brisés ? C’est aussi une manière de changer notre image, je dirais presque que c’est un outil de communication. Quand j’invite le doyen de la faculté d’Angers, je suis fier de le recevoir dans un cadre pareil !

On sent que l’islam a une place importante dans votre vie !

A.-R. A.Je ne cède pas un iota de mon islam. J’ai une façon de vivre qui se veut respectueuse de ma foi.

Bio Express

Abdel-Rahmène Azzouzi, 42 ans, a grandi à Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis. Marié et père de 4 garçons, il est le dernier d’une fratrie de 7 enfants. Très jeune, il ambitionne de devenir chirurgien. Un temps déstabilisé par le retour en Algérie, en 1976, de sa mère et de ses trois soeurs, il fréquente des « petites frappes » et redouble sa cinquième. Sauvé par un de ses professeurs, il s’emploie dès lors à atteindre son rêve. Intéressé par la politique, il rejoint en 2004 le très fermé club XIXe siècle cofondé par Rachida Dati, qui regroupe des sympathisants aussi bien de gauche que de droite. L’objectif : montrer sans complexe les réussites des personnes issues des minorités et ouvrir la voie aux plus jeunes. Il est, depuis juin 2008, conseiller municipal à Angers.
 

Interview exclusive de Nadia Hatroubi-Safsaf le Jeudi 1 Janvier 2009

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